Par Mohamed Ridha BOUGUERRA Devant le flot de nouvelles les unes plus alarmantes que les autres dont nous sommes actuellement assaillis, il faut avouer que l'on ne sait plus où donner de la tête et par quoi commencer ? Dira qui pourra ce qui est le plus grave! Au cinéma AfricArt, ce sont des salafistes rétrogrades qui, profitant de l'air de liberté qui a soufflé sur le pays, se croient libres de manifester leur point de vue en usant, dimanche 26 juin, de méthodes dans la tradition fasciste la plus dure ! Ils ont organisée ainsi une opération coup de poing, saccageant la devanture de la salle de cinéma et molestant des responsables avec l'intention proclamée d'empêcher une projection cinématographique et autres activités culturelles. Ils s'offrent en même temps un coup de pub gratuit et nous donnent une idée des «valeurs» qu'ils défendent ! Que la colère des assaillants ait, plus particulièrement, pour cible le film de Nadia Fani, Ni Allah ni Maître, n'est pas la question essentielle. Ici, c'est l'art principalement et la simple liberté de créer elle-même qui sont menacés. Que le film mis en cause soit plus qu'un brin provocateur, qu'il soit bon ou mauvais, plaise ou ne plaise pas, ne doit pas entrer en ligne de compte. Car, dans cette affaire, il y va tout simplement du sacro-saint principe du respect de la liberté d'expression qui se trouve piétiné et dangereusement bafoué ! Une minorité pour active qu'elle soit n'a pas à imposer ses valeurs et à dicter par la force ce qui est licite et ce qui ne l'est pas ! Une ligne rouge vient d'être franchie dimanche au cinéma AfricArt. Ici, le silence vaut complicité ! Ici, le silence fait le lit de la dictature la plus abjecte, celle qui pèse comme un étouffoir et comme un éteignoir sur l'esprit libre et créateur ! D'où l'impérieuse nécessité d'agir aujourd'hui car demain il sera trop tard. Se contenter de «regretter» un pareil incident comme vient de le faire Rached Ghanouchi au nom d'Ennahdha sans le fermement condamner, c'est montrer de la complaisance envers les ennemis de la liberté d'expression, c'est s'avouer complice des tenants de l'action violente, c'est aussi tendre déjà le cou au couteau des intégristes dont nous avons déjà connu les hauts faits en Algérie dans les années 1990 ! A bon entendeur, salut ! Lundi matin, ce sont de paisibles citoyens à Bir-Lahmar dans le gouvernorat de Tataouine qui constatent le retour parmi eux d'un cadre de la police qui a sévi avant la Révolution dans la localité d'où il avait été éloigné après le 14 janvier. Il s'ensuit une course-poursuite qui se serait terminée, probablement, par un lynchage dans les règles n'eût été l'intervention de l'armée. La journée s'est soldée, cependant, par des blessés tant du côté des manifestants que de celui des forces de l'ordre ainsi que par d'importantes dégradations causées au poste de police et à son matériel de bureau que la communauté nationale va devoir remplacer ! Lundi encore c'est plus d'une centaine d'agents de police et de la Garde nationale en grève illimitée au gouvernorat de Gabès depuis le 24 juin qui donne une nouvelle tournure à une action illégale et franchit le Rubicon en forçant en masse l'entrée du siège du gouvernorat de Gabès en brandissant, disent certains, des portraits de Ben Ali. Il n'est plus question ici de grève ou d'un quelconque programme revendicatif d'un syndicat : il s'agit purement et simplement d'une rébellion contre l'Etat. Est-ce là le début d'un mouvement factieux qui risque de faire tache d'huile et de se propager parmi d'autres unités des forces de l'ordre dans d'autres gouvernorats ? Les autorités ont-elles vraiment saisi la gravité de la situation et tout ce qui peut en découler ? L'envoi de la Garde nationale pour déloger les assaillants du gouvernorat et la publication par le ministère de l'Intérieur d'un communiqué condamnant ces incidents suffiront-ils réellement à empêcher la propagation de cet esprit factieux ? Des mesures plus énergiques comme l'arrestation de tout fonctionnaire de police ayant participé à ces tristes événements et sa comparution immédiate devant une cour martiale, ne seraient-elles pas davantage susceptibles d'étouffer dans l'œuf ce début de rébellion hautement dangereuse au devenir de la Révolution? Quels sont, d'autre part, les auteurs de l'attaque, toujours lundi, qui a visé le poste des douanes à Ras-Jeddir et a contraint les douaniers à suspendre pendant quelques heures leur travail ? N'y a-t-il là que des trafiquants et autres contrebandiers qui cherchent à imposer leur loi en profitant d'un certain vide sécuritaire ? Ne devrait-on pas voir là un signe inquiétant qui devrait nous interpeller quant à la solidité de nos structures sécuritaires ? Quels sont les buts véritables que les magistrats escomptent atteindre à travers la grève de trois jours qui débute ce lundi 28 juin pour protester contre le décret-loi à paraître relatif au statut d'avocat ? N'y a-t-il que rivalité entre deux corporations, celle des juges et celle des avocats ? Que vient faire ici alors l'appel à la démission du ministre de la Justice lancé par l'association de magistrats ? Enfin, quels gains politiques espère engranger le parti religieux d'Ennahdha en annonçant au cours d'une conférence de presse solennelle son retrait définitif de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, la réforme politique et la transition démocratique ? Mettre en difficulté cet organe dont Rached Ghanouchi a demandé la semaine dernière la dissolution et qu'il accuse aujourd'hui d'être sous la coupe de partis de gauche et de partisans de la laïcité alors que les représentants d'Ennahdha y ont siégé depuis sa création ? En faisant cavalier seul, le mouvement d'Ennahdha espère-t-il se rehausser et se distinguer du marais où se contentent de vivoter les autres partis politiques ? Est-ce ainsi, cependant, que les Nahdhaouis espèrent nous convaincre de leur intention d'aider le processus démocratique à atteindre son but ? Ou bien devrait-on de nouveau nous poser la question si la loi sur les partis politiques en cours de discussion par les membres de la Haute Instance gêne à ce point Rached Ghanouchi et ses amis ? Ennahdha redoute-t-elle si grandement le volet sur la transparence financière que devrait comporter la future loi sur les partis ? Qu'a-t-elle donc, finalement, à nous cacher ? Il est évident que plus nous nous approchons de la date des élections et de la possibilité d'asseoir un exécutif fort légitimé par le suffrage universel plus les menaces se feront précises et nombreuses sur la transition démocratique. Si des citoyens cherchent à se faire justice eux-mêmes, c'est là le signe d'une grave perte de confiance dans les institutions de l'Etat. Si les piliers sur lesquels repose tout Etat démocratique, à savoir la sécurité et la justice, viennent à faire défaut au gouvernement et entrent avec lui en conflit, c'est que l'heure des factions a déjà sonné et que le moment est bien grave, car c'est la stabilité du pays qui se trouve ainsi menacée. Si un parti politique refuse de miser sur l'indispensable consensus qu'exige la phase historique qui est la nôtre, c'est qu'il cultive un esprit factieux et commence à constituer une menace pour les précieux acquis de la Révolution. Il est donc urgent d'agir pour sauver la Tunisie nouvelle des factieux, à laquelle nous aspirons et où modernité, tolérance, égalité et démocratie riment ensemble.