«Ni Dieu, ni maître», une expression dont le sens varie selon le contexte, du plus anodin au plus pointu. Elle peut signifier le simple et le légitime désir de liberté et d'indépendance, tout autant que l'aspiration à l'anarchie et même à l'insurrection. D'un point de vue religieux, elle peut provenir autant d'un croyant que d'un mécréant, d'un fanatique que d'un laïque, toujours selon le contexte et les conditions dans lesquels elle est placée ou prononcée. Nous remarquerons que nous occultons ici l'état d'âme de son auteur, au moment où il le sort. Que Nadia El Féni ait manifesté son appartenance — au moins culturelle — arabo-musulmane en empruntant cette expression pour le titre de son documentaire, après avoir substitué le terme Dieu par Allah, n'y change absolument rien et, disons-le tout de suite, ne justifie d'aucune manière la brutalité de la réaction des énurgumènes salafistes qui ont saccagé la salle où il était projeté, la semaine dernière. Certes, cette «perfide» substitution peut être «commerciale» et destinée à appâter un public local et étranger anti-intégriste, surtout que le film ne contient rien qui soit vraiment contre l'Islam ou contre Allah, mais nous croyons davantage qu'elle est contre-provocatrice et qu'elle a été choisie pour réagir à la montée spectaculaire, ces deux ou trois dernières années, de l'extrémisme islamiste et de la poussée incroyable, depuis que cela a été autorisé dans les établissements publics, des porteurs de longues barbes, du hijab et du niqab. Des précisions qui s'imposent Son courage — ou sa témérité, selon certains — réside dans son désir d'avoir voulu s'opposer formellement aux dogmes et à la sacralisation. Est-ce opportun aujourd'hui ? Est-ce la meilleure manière de mettre le holà à la terreur que veulent installer les salafistes, et d'aider à l'émergence d'une société moderne et démocratique. Nous ne le pensons pas dans les conditions particulières actuelles que le pays connaît même si nous croyons à la liberté de s'exprimer, de croire… d'être. Tout comme nous pensons que les propos prêtés à Mohamed Talbi à propos de la femme du Prophète Mohamed et la demande des femmes démocrates relative à la liberté sexuelle ne sont pas venus au bon moment, dans la mesure où ils ne constituent pas des urgences actuellement. Ils peuvent diviser beaucoup plus que rassembler. En tout cas, l'affaire Nadia El Féni a été abordée lors de la conférence de presse tenue jeudi dernier par le ministre de la Culture pour parler des festivals. Ses propos ont pu manquer de clarté et être mal interprétés. C'est ce que nous a précisé une source autorisée du ministère qui souligne que tout en condamnant la violence de l'extrémisme, que ces fanatiques, au lieu de réagir de la sorte, auraient pu s'adresser au conseil supérieur islamique, s'ils avaient le sentiment que le film portait atteinte à Allah ou aux valeurs de l'Islam, qui est la religion de la tolérance. Cette même source ajoute qu'il n'est aucunement dans l'intention du ministère de soumettre, à l'approbation préalable de ce Conseil, les œuvres des créateurs tunisiens, comme cela a été propagé. Voilà ce qui met fin à la polémique et qui rassure définitivement nos acteurs culturels. Quant à cet avocat qui a déclaré publiquement qu'il comptait intenter un procès contre le ministère de la Culture «pour avoir subventionné le film en question», il lui aurait suffi de jeter un coup d'œil sur l'affiche ou de poser la question à la direction pour savoir qu'il n'en était rien, au-delà de la futilité de ce détail. Quand on veut se «frotter» à un secteur, la culture en l'occurrence, il faut savoir en lire et en décrypter les «choses», sinon on risque d'être accusé de chercher une notoriété opportuniste ou de marquer une obédience bien déterminée.