Par Brahim OUESLATI Disons le d'emblée, les Tunisiens, puisque tout le monde parle en leur nom, sont épuisés par cette ébullition, excédés par cette expectative qui n'a que trop duré, fatigués par ces débats politiques interminables et angoissés face à un avenir qui ne s'annonce pas sous de bons auspices. L'économie est exsangue «avec un recul de 3,3% de la croissance au premier trimestre et 0% au deuxième», en dépit de la lueur d'espoir lancée par le gouverneur de la Banque centrale, les touristes ont déserté nos hôtels et nos plages malgré une campagne menée à coup de millions de dinars, les investissements tardent à arriver et les entreprises publiques et privées marquent le pas à cause des sit-in et des grèves. En plus de cela, la sécurité ne semble pas avoir été tout à fait restaurée et on ne compte plus les incidents qui éclatent dans toutes les régions, provoquant des dégâts, parfois considérables, tant au niveau matériel que social et humain. Le ciment de la révolution n'a pas pris et les principes de dignité, de justice, d'égalité et de liberté, dont on nous gave à longueur de journée, se trouvent réduits à une pédanterie stérile. Le Premier ministre l'a reconnu hier en dressant un sombre tableau de la situation générale du pays. Certains hommes politiques n'ont pas hésité à franchir le Rubicon en parlant de complot. Complot ourdi par qui et contre qui ? Complot contre la révolution, disent-ils. Mais qui se cachent derrière ? Une force occulte. Le mot est lâché sans plus de précision. Pour les observateurs avertis, la situation est on ne peut plus confuse et «il y a un vrai conflit politique qui se profile à l'horizon», accuse Moncef Marzouki. De son côté, Hamma Hammami avait déclaré que "certaines parties cherchaient à semer la zizanie et la discorde pour confisquer et faire avorter la Révolution tunisienne". Alors qu'Ennahdha a claqué la porte de l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique l'accusant de «s'être instaurée comme un parlement chargé de la promulgation des lois», brisant, ainsi, le principe de consensus qui a, jusque-là, prévalu. Pendant ce temps, d'anciens hauts dignitaires du régime déchu sont encore détenus dans la caserne d'El Aouina dans l'attente d'être déférés devant la justice, d'anciens hauts responsables de la police sont arrêtés pour répondre à la grave accusation d'avoir ordonné de tirer et de tuer des innocents, les familles des martyrs continuent à vivre leur deuil réclamant que justice soit faite, des associations de défense des droits de l'Homme affirment que la torture se perpétue dans les locaux de la police alors que le ministère de l'Intérieur rejette catégoriquement ces accusations…Véritable embrouillamini «aux relents nauséabonds où les méchants ne sont pas forcément ceux que l'on croit» et où se mêlent combines, manigances et irresponsabilités. Sans trop verser dans un pessimisme noir, il faut, toutefois, se rendre à l'évidence, le pays va à reculons et ce ne sont pas les promesses, non encore tenues, des gros investisseurs qui vont redonner la force aux Tunisiens de redresser la barre. Ni encore moins ces satisfecit adressés par de hautes personnalités du monde à «la révolution du jasmin», précurseur du «printemps» arabe qui vont nous guérir de nos maux. «Le plus grand danger qui guette la révolution c'est la division», confia Jean Daniel dans une interview à notre journal le 12 mars dernier. Voilà que nous y sommes. Malheureusement. Car toutes les menaces peuvent être dépassées, sauf celle-là. L'union sacrée autour des principes de la révolution a fait long feu se disloquant au fur et à mesure que les jours passent. Même l'Instance censée protéger les objectifs de la révolution s'est trouvée prise dans son propre jeu, fortement contestée par certains de ses membres et boycottée par d'autres. Le consensus qui a, jusque-là, prévalu est profondément entamé et la bonne volonté du seul gouvernement et quelques autres personnalités ne suffit pas pour le restaurer. La question sociale qui devait être au cœur de la révolution est aujourd'hui reléguée à l'arrière-plan. Les jeunes qui se sont soulevés contre l'injustice sociale, les disparités régionales, le chômage et la précarité attendent toujours des réponses à leurs revendications. Un sursaut d'orgueil de tous les Tunisiens est plus qu'indispensable pour éviter les dérives suicidaires, les dérapages sécuritaires et économiques, bref éviter que le pays ne sombre dans le chaos. Bannir le sentiment de vindicte et prôner la réconciliation et la concorde, voilà le chemin à suivre. Toutes les forces vives, indépendamment de leurs sensibilités, doivent s'unir autour d'un seul objectif, remettre le pays sur les rails. Avant que la rue ne gronde et ne vibrionne de nouveau. «L'avenir de la Tunisie dépend de l'implication de tous», tenait à préciser hier le Premier ministre Béji Caïd Essebsi.