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Que reste-t-il de Gammarth-Forêt?
Enquête : Des années béton aux licences de la révolution

Entre ciel, forêt et mer, Gammarth a plus que jamais la cote. Mais à quel prix et pour combien de temps encore ?
Entre plans d'aménagements en cours et constructions anarchiques récentes, le ciel se charge de grues, la mer se ferme et la forêt recule. Les arbres sont abattus et les dunes se dénudent. Les promoteurs se frottent les mains et les privés se servent impunément. Si pour les uns, il fait économiquement bon d'investir dans le béton, pour d'autres, l'impact environnemental du déboisement sera dramatique. Et si la forêt disparaissait ?
Notre enquête.
- «On vous attendait plus tôt…vous deviez être là depuis trois mois !»
- Est-il trop tard, déjà ?...»
Le jeune fonctionnaire de la Direction générale des forêts qui nous lance le reproche et fait la sourde oreille à notre question. Il va dans le vif du sujet: «Les constructeurs anarchiques qui ont abattu des arbres, élevé des clôtures et commencé à bâtir dans la forêt de Gammarth sont en train de violer trois régimes à la fois‑: le code des forêts, la zone d'interdiction classée naturelle dans la carte agricole et le plan d'aménagement urbain de la ville de La Marsa !» Sahbi Bedhiaf est chargé de la réglementation et du contrôle et s'inquiète que les procès-verbaux, le courrier adressé au gouvernorat de Tunis et à la municipalité de La Marsa et autres outils juridiques et sommations dont sa direction a usé depuis des mois butent, à ce jour, contre un mur de silence et un curieux blocage à l'exécution.
Les petites maisons dans la forêt...
Son inquiétude grandit et devient révolte chez Donia Achour. Elle est propriétaire d'un domaine limitrophe de la zone gardée. Témoin contre elle des chantiers anarchiques qui poussent à ses côtés, elle lance un cri : «Ils ont fermé l'accès à la mer, démoli le mur de protection de la forêt, déboisé et rasé d'importantes superficies. Ils ont détruit des coupe-feu et les pompiers peinent de plus en plus à y accéder…» Pour Donia Achour, le projet de supprimer la forêt est à l'œuvre depuis longtemps déjà. Il ne fait qu'avancer. Voilà des années que les incendies se suivent intentionnellement et impunément pour laisser la terre libre au futur bâti. «Avant le 14 janvier, c'était les membres de la famille de l'ex-président qui sévissaient sans merci. Maintenant qu'ils sont partis, d'autres personnes profitent de cette ouverture pour achever le boulot». Depuis le toit de sa maison, Donia veille à ce qu'il n'en soit pas ainsi. Initiatrice d'un mouvement citoyen, elle prend des photos, éternise des scènes d'abattage, appelle les pompiers à chaque fois que se déclare un incendie, mais ne sait plus aujourd'hui où vont se perdre les appels qu'elle lance à l'administration.
Un petit sentier sylvestre sépare pourtant Donia des services tout proches de la Direction des forêts. Jamel Zayati nous y accueille, un épais classeur vert à la main : «Vous voyez ce dossier, il a été entièrement instruit après le 14 janvier. Il y a tous les dépassements commis depuis le mois de mars dernier, il y a les constats et les identités des personnes concernées, il y a tous les PV et tous les décrets…» A quelques pas de la pépinière de reboisement, il nous montre la transgression : comme autant de blessures, trois hautes et longues murailles édifiées au nez des gardes forestiers. Fraichement badigeonnés, les murs se ferment sur les traces de destruction d'un imposant pan de forêt. Ils comptent trois portails en enfilade marquant l'entrée de trois résidences privées. Elles appartiennent respectivement à F.B, Tunisien résidant à l'étranger, T.B.T, magistrat et M.A.Ch, huissier-notaire. Impuni en d'autres temps, leur forfait est aujourd'hui malvenu : ils viennent d'enfreindre la triple interdiction de construire sur une terre à vocation forestière, dans une zone d'interdiction agricole et sans autorisation communale. L'ordre de démolition décrété à leur encontre attend juste d'être exécuté. Question de rompre le cercle de l'impunité, son lot de complaisance et de corruption, question de dissuader ceux qui ont déjà suivi. Dans le silence de la forêt, les trois chantiers sont, maintenant, visiblement suspendus. Le temps aussi… Retour sur image…
Il était une fois des dunes et des sables mouvants
Les photos jaunies montrent d'immenses déserts de dunes et de sables mouvants. On est en 1883 à Gammarth et à Dar Chichou, au Cap Bon. Déroulant son trésor de photos d'archives, le directeur général des forêts, Ridha Fkih, explique : «Ces fortes pentes sablonneuses, que rien ne distingue de celles de Douz, sont des dunes côtières qui allaient accueillir les campagnes de fixation par reboisement.» Les forêts de Gammarth comme celle de Dar Chichou naissaient ainsi dans le but de protéger le littoral, de fixer les dunes et d'arrêter l'ensablement, au bénéfice d'un pays au couvert végétal rare et précieux. Héritant, à l'indépendance, de six cents hectares de forêts naturelles et artificielles réunies, la Tunisie les multipliera peu à peu par deux. Mais voilà des années que ce chiffre est constamment révisé à la baisse. «A Gammarth, les périmètres de fixation des dunes disparaissent à vue d'œil, tout le littoral en front de mer a été déboisé et il n'y a plus grand-chose pour retenir le sable…» Pour le directeur général des forêts, il y a un paradoxe qui peut tout expliquer : depuis 1926, la forêt de Gammarth n'est plus soumise au régime de l'expropriation. Elle est à la fois sous la gestion de l'administration et en usus, sous propriété de privés. A l'instar de ce qui se passe en Europe, l'esprit de 1926 favorisait alors cette appropriation par des privés à la condition qu'ils en protègent la vocation forestière… C'est dans le respect de cette règle que tout a commencé. De rares Gammarthois ont aujourd'hui l'âge d'en témoigner. Ils se souviennent d'un temps où les grandes familles de propriétaires des étendues forestières se comptaient sur le bout des doigts et jamais n'entreprenaient d'enfreindre la loi. En revanche, personne ne sait plus exactement comment ces familles ont quitté leurs terres ni comment elles y ont été relayés. Pour M.A., une chose est sûre, ils n'ont jamais rien vendu et jusqu'à une date récente, les plans de cadastre portaient encore leurs noms. «Puis tout a basculé. Leurs terres ont été squattées puis possédées. Ici, il suffisait de la profession de foi d'un faux témoin faite devant le tribunal pour devenir propriétaire et spéculer… et c'est ainsi que la forêt de Gammarth a été abusivement possédée puis découpée, déboisée et revendue‑!», s'indigne M.A.
Basma, Mouna, les cinq palais et autres démons
La suite est prédictible. D'une superficie initiale de 500 hectares, enregistrée en 1946, la forêt de Gammarth qui s'étendait alors de Raoued à La Marsa, ne couvrait plus que 137 hectares, en 2003. A cette date, la dernière révision des limites de la zone sauvegardée ressemblait alors à un cri, une ultime tentative de sauver le peu de forêt qui restait. Mais ni la nouvelle fixation, ni le nouveau décret, ni la clôture et le mur de protection élevé par l'administration n'empêchèrent les nouvelles annexions.  En dehors de toute légalité, l'association Basma s'y est taillé la belle part de quatre hectares, contre trois pour une vague société immobilière baptisée Mouna... Les immeubles Mouna sont aujourd'hui habités et du côté de l'extravagant siège de Basma et des étendues alentour, le gâchis joue les prolongations. Mais, si les transgressions à l'intérieur du périmètre gardé sont aussi ostentatoires, à l'extérieur, dépassements et violations se font moins faciles à dénicher. Lors d'une récente expédition de sensibilisation, le mouvement citoyen «Sauvons Gammarth» en a repéré six et en a fait autant de points de rencontre à photographier et dénoncer. Oubli ou omission, la liste passe à côté des colossaux cinq palais édifiés en pleine forêt pour les invités de l'ex-président. Les invités préfèreront toujours les palaces et les palais ne seront que rarement affectés.
Pour revenir à la liste des violations, il y a notamment le Montazeh «Côtes de Carthage» des Trabelsi, le lotissement Matri et autres appropriations abusives et entailles occasionnées au flanc de la colline et à la forêt, saturant le littoral et obstruant la vue sur mer. Toutefois, ce ne sont pas forcément les mêmes noms qui reviennent. Les abus ont de petits, de faux et des prête-noms… Ils se déclinent aussi lourdement chez les plus petites gens.
En bonne place sur la même liste des violations, le chantier de la baie de Gammarth inspire à Khaled Mestiri ceci : «La marina est un mastodonte de béton et de métal édifié sur des kilomètres de côtes, défiant toutes les lois sur la protection de l'environnement, saccage de la forêt et destruction au passage de kilomètres de dunes stabilisatrices du littoral, le tout sans permis de construire : un veritable viol de la nature ! Le duo Chiboub-Miled et quelques autres se croyant au dessus des lois se sont emparés du domaine public maritime…» publie le conseiller de la municipalité de La Marsa sur un réseau social.
Les années tourisme, les beaux atours et les arguments lourds
Il en est d'un tout autre point de vue du côté de l'Agence foncière touristique (AFT). L'histoire des dunes boisées de Gammarth resterait, en effet, inachevée si l'on n'y ajoutait les années tourisme et aménagement. Ici, les seventie's ont ouvert le village et sa forêt sur tous les possibles. En 1975, le déclassement des forêts et l'expropriation effectuée au bénéfice de l'Agence foncière du tourisme s'inscrivaient en toute transparence dans une politique et des finalités. Il y était de créer une zone touristique, des villages forestiers et des zones d'urbanisation communes. Atout naturel majeur, la vocation forestière allait servir humblement et sans compter la vocation touristique et urbanistique. Gammarth aura désormais la cote. Mais les dunes boisées, les pins, eucalyptus et acacias reculeront à en finir. Il faudra attendre le début des années 90 pour que le premier plan d'aménagement urbain de la ville de La Marsa voie le jour. Il faisait déjà la part belle aux titanesques cinq palais présidentiels. «Les projets touristiques, quant à eux, n'ont rien à se reprocher ou presque… Ils sont tous inscrits aux plans d'aménagement. Régulièrement révisés, ces plans sont irréprochables. Ils se fondent sur de sérieuses études d'impact, font valoir de rigoureux cahiers des charges et ne sont adoptés qu'avec l'approbation de tous les partenaires : forêts, environnement, équipement, promoteurs hôteliers…» Fidèles à leur position, Mohamed Ferchichi, le directeur de l'AFT, et Mokhtar Seddik, l'expert, sont les inconditionnels invétérés de l'argument touristique. Pour eux, le projet en cours de la Baie de Gammarth porte l'espoir d'une relance sans précédent du tourisme plutôt sommeillant de la région. Plaisance, animation, résidence et loisirs ne peuvent qu'être salutaires à un tourisme en berne et une crise de l'emploi. A propos des années noires de l'ingérence de la famille de l'ex président dans les affaires de l'agence (notamment en matière de cession de terrains), ils ne soufflent mot. « A quoi sert-il de remettre en cause l'existant ?!...Il n'y a rien de nouveau. Cap Gammarth est la suite logique de Chatt Errih et Chatt El Ghaba, tranches prévues par le tout premier plan. Il y a juste quelques privilèges accordés à quelques promoteurs et quelques dépassements de la part de quelques-uns … En fait, nous ne choisissons pas notre acheteur !» Tout est dit, rien n'est dit.
Le directeur central des investissements à l'Office national du tourisme tunisien (Ontt) va plus loin : «Un plan d'aménagement, aussi irréprochable soit-il, n'est qu'une manière de voir… Ce n'est pas une vérité. Il est fonction d'une politique et cédé à des promoteurs pas toujours respectueux des cahiers des charges».
Un ancien fonctionnaire du ministère du Tourisme donne, quant à lui, en exemple les graves dépassements du projet de la marina de Gammarth. «Généralement puissants, les promoteurs outrepassent les plans d'aménagement. Des immeubles R+4 en front de mer ne sont tout de même pas en conformité avec notre plan. Il va sans dire pour l'impact environnemental totalement inconnu de tous ces espaces de forêts ravagés et de toute cette masse de béton avancée dans la mer… Des problématiques des nouveaux ports, nous en avons bien des exemples aujourd'hui : ensablement, dessablement, érosion… On fait certes des études, mais on ne va pas jusqu'à maîtriser réellement l'évolution…»
L'avenir de la forêt : un virtuel chant d'oiseau
En attendant, des dizaines de kilomètres de côtes et d'hectares de forêts continuent à subir les invasions publiques et privées des pelleteuses et des grues, au nez des gardes forestiers et des services municipaux. Du côté de la Direction des forêts comme de la municipalité de La Marsa, on avance des prémices de solutions, comme le retour du régime de l'expropriation et la révision du plan d'aménagement. Côté exécution de quelques arrêtés de démolition, on prend le temps et toutes les précautions pour «éviter les répliques possibles ; les fraudeurs sont des procéduriers… Et de toute façon, le jour où on prendra les engins, les renforts, les agents de l'ordre et de la sécurité pour exécuter l'ordre de démolition, on vous tiendra au courant», nous promet-on.
- Ce serait vers quelle date à peu près ?
- Ce sera imminent !
A l'heure où nous mettions sous presse, la police municipale ne nous a toujours pas contacté. Les clôtures fraîchement badigeonnées des petites maisons dans la forêt s'élèvent impunément.
Sur la Baie de Gammarth, le rêve se vend cher et le cauchemar se concède pour rien du tout. Le tout «entre ciel et terre, dans un lieu féerique où le rêve rencontre la réalité». Aux rêveurs, le site Internet du projet diffuse la visite virtuelle sur fond d'un déchirant chant d'oiseau dont on vient d'arracher le nid, dans la réalité.
Enquête réalisée par Hedia baraket


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