Par Soufiane Ben Farhat Dans un article publié il y a deux jours dans El Pais, Carlos Fuentes s'attarde sur la crise et les plaies de l'Europe. Il étale également le douloureux dilemme de l'Europe : "Brown prône une stratégie ‘‘paneuropéenne'' qui, aux ‘‘réactions dans la panique'', substitue une politique de reconstruction à long terme. Dans le cas contraire, l'Europe entrera dans une ère de mécontentement social, de phobie de l'immigrant et de ‘‘mouvements de sécession'' politique. Et Gordon Brown de proposer que les problèmes communs soient abordés comme tels, non comme des problèmes ‘‘locaux'' qui ne concerneraient pas le reste de l'Europe. Je me rappelle l'Europe en ruine de 1950. La situation actuelle n'a aucune raison de sombrer à nouveau dans les drames de l'après-guerre. Il est certain en revanche que l'Europe devra s'adapter à un monde nouveau où se multiplient les économies émergentes, en Asie et en Amérique latine aujourd'hui, peut-être aussi en Afrique demain. Elle ne renouera pas avec la gloire d'antan, mais pas plus qu'avec la misère de jadis. L'Europe devra s'adapter à un monde pluriel, émergent et jamais plus eurocentrique". En somme, l'Europe doit délaisser l'esprit de clocher qui de Paris à Bonn, en transitant par Londres et Rome, travaille ses dirigeants en profondeur. Ainsi en est-il, hélas, depuis l'irruption fracassante de la crise grecque sur l'échiquier européen. Des voix officielles se sont élevées pour exiger le retrait d'Athènes de l'Union européenne. Des officiels allemands ont même exhorté publiquement la Grèce à vendre certaines de ses îles pour sortir du bourbier. L'opinion européenne, sous influence, n'est guère en reste. Elle exige elle aussi de larguer les amarres avec Athènes. Du coup, les fondamentaux de la culture anthropologiquement enracinée dans l'âme des Européens en a pris un sacré coup. C'est désormais une atmosphère viciée, délétère. Comme aux lendemains des grandes débâcles. Pourtant, il ne saurait y avoir de déficit européen localement isolé ou circonscrit. Les catastrophes et marasmes sont espiègles et, à leur manière, démocratiques. En période de crise, le nivellement par le bas l'emporte. Dans son article, Fuentes en réfère aux "réactions dans la panique" désignées comme telles par Gordon Brown. Il l'énonce sans ambages : "Dans le cas contraire, l'Europe entrera dans une ère de mécontentement social, de phobie de l'immigrant et de ‘‘mouvements de sécession'' politique". Quelles perspectives. La xénophobie doublée des mouvements politiques sécessionnistes. En Europe, ces derniers ont toujours pris l'aspect de guerres terroristes intérieures et de confrontations militaires particulièrement cruelles et dévastatrices. Que l'on songe aux guerres de l'ex-Yougoslavie et aux massacres en règle et passages au fil de l'épée au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine ou à Srebrenica. De quoi réveiller les spectres de vieilles peurs et haines et de vieux frissons, sur fond de larmes et de douleurs. Quant à la xénophobie, on en connaît les tragiques avatars. C'est si navrant et primaire que l'on en tombe malade rien qu'à y penser. Lorsqu'on sait que la France a failli se retirer de l'Europe de Schengen en raison de quelques milliers de réfugiés tunisiens, on demeure pantois. Et dire que jusqu'ici, près d'un million de réfugiés ont afflué en Tunisie à la faveur de la crise libyenne alors que la solidarité des Tunisiens à leur endroit se poursuit et ne se dément pas au fil des jours. On comprend que Carlos Fuentes prône que "l'Europe devra s'adapter à un monde pluriel, émergent et jamais plus eurocentrique". Il en va de l'idée même de l'Europe dans la conscience spontanée du commun des Européens. Aujourd'hui, un peu partout dans le monde, la crise exige des adaptations appropriées. Le plus facile, pour les politiciens véreux et autres populistes aux aguets, est de caresser dans le sens du poil. C'est-à-dire de favoriser le parti de l'instinct aux dépens du parti de l'intelligence.