La mobilisation citoyenne pour les inscriptions aux élections de la Constituante en octobre prochain exprime une volonté populaire pour voter, ainsi que pour sortir de cette phase transitoire entre l'absolutisme et une société de droit. Cette phase a été marquée par une faiblesse du fonctionnement des institutions de l'Etat, ainsi que par des mouvements populaires ou sectoriels revendicatifs. Le grand absent de cette phase est les forces de l'ordre qui n'ont pas été à la hauteur de leurs tâches historiques. Le maintien de la stabilité du pays et de son unité, malgré les menaces et défis — réels — auxquels il fait face, est un indicateur de civilité et de cohésion sociale, ainsi qu'un ancrage dans un ensemble de valeurs citoyennes qui se sont forgées au fil des ans et des siècles passés. L'Etat tunisien existait avant même la colonisation, s'est maintenu dans une période où tout a basculé et pour laquelle personne ne s'est préparé. Le maintien du fonctionnement des institutions et la réussite des années scolaire et universitaire sont des indicateurs très positifs quant à cette transition. Le processus électoral Celui-ci a démarré avec la création, en mai dernier, de l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie), chargée de préparer les élections de la Constituante et dont la date a été fixée au 23 octobre prochain. La première action de grande envergure de l'Isie a été l'appel aux citoyens de s'inscrire sur les listes électorales, le 11 juillet dernier. Cet appel a suivi la formation et le recrutement des agents chargés de l'inscription, la mise en place de la base de données par le Centre national de l'informatique (CNI) et toute la logistique qui va avec. Le démarrage de l'action a été très chaotique, dans le sens où une avalanche de problèmes d'ordre technique ont émergé en même temps, et auxquels personne n'était préparé. C'est un grand exploit si nous sommes parvenus à dépasser la presque totalité des problèmes qui ont surgi au bout de 24 heures. C'est surtout grâce à l'acharnement des ingénieurs du CNI auxquels, au passage, il faut rendre hommage, que ces problèmes ont été solutionnés. Le fait que ce genre d'opération se lance pour la première fois dans l'histoire de la Tunisie, l'absence de vision claire (chez les utilisateurs) de la structure de la base de données de nos concitoyens et des phases techniques associées à l'enregistrement chez les utilisateurs, a rendu certaines tâches ardues et a été à l'origine de grandes pertes de temps et d'énergie dans de nombreuses régions. Ces difficultés auraient pu être contournées si on disposait d'un peu plus de temps, pour disposer d'une certaine avance afin de pouvoir agir à temps et disposer de réponses aux difficultés potentielles. Le bilan est très positif, au regard de la rapidité et de l'efficacité de la réponse au problème rencontré. Dès le lancement de l'opération d'inscription, des "défaillances" ou "manquements" ont été pointés par tout le monde, à savoir que les habitants des zones rurales vont avoir beaucoup de mal à s'inscrire, du moins en étant éloignés des centres urbains où se trouvent la plupart des centres d'inscription fixes (mairies et collèges). Cette remarque appelle les commentaires suivants : - les commentateurs se sont allés dans le sens de l'accusation de l'Isie, sans chercher à voir la réaction de nos concitoyens suite à l'appel à s'inscrire; - l'essentiel de la population tunisienne se trouve en milieu urbain, et les chiffres indiquant le nombre de personnes inscrites (voir figure ci-dessous) montre sans équivoque que le taux de participation est faible, voire très faible, et que cette faiblesse est essentiellement liée au fait que les citadins n'ont pas répondu positivement à l'appel; - personne n'avait une idée claire sur la manière de faciliter l'inscription des ruraux et leur participation au processus électoral. L'ouverture de centres d'inscription dans les bureaux de poste ruraux, ainsi que l'utilisation des clés 3G permettant une connexion hors ligne au réseau de Tunisie Télécom a été une agréable surprise pour contourner cette défaillance. Le faible nombre de ces clés demande plus d'efforts en temps pour couvrir la totalité du territoire, ou du moins les concentrations humaines en milieu rural. Il y a lieu de remarquer que la réponse des ruraux à l'inscription a été massive et très positive, comparativement à la situation en milieu urbain, même si certaines campagnes n'ont pas été précédées par l'information des habitants, pour des raisons qu'il vaut mieux taire pour le moment. Par l'occasion, il faut noter que les bureaux de poste ruraux sont très mal équipés, et la Poste tunisienne se doit de mieux les lotir, eu égard aux services rendus aux citoyens des zones rurales. L'afflux tardif des citoyens aux bureaux d'inscription peut être expliqué par le flou qui a entouré cette campagne, dans le sens où les messages adressés aux gens ne les encourageaient pas à s'inscrire. La confusion qui règne entre les partis politiques et l'Isie a rendu la tâche difficile, car de nombreux citoyens la considéraient (encore ?) comme une structure politique, plutôt qu'une instance indépendante chargée de la préparation des élections, indépendamment des partis politiques. La fausse interprétation des textes de loi relatifs aux élections, notamment le décret-loi n° 35 du 10 mai 2011. Il y a lieu de souligner que l'inscription ne signifie pas un droit exclusif au vote, mais que ce dernier est un droit de citoyen indépendant du fait que la personne se soit inscrite ou pas. Un autre comportement mérite également un commentaire : de nombreuses personnes sont venues aux bureaux d'inscription, munies de cartes d'identité nationales de personnes tierces et se sont révoltées face au fait qu'ils ne pouvaient pas les inscrire en leur absence. Le texte stipule que l'inscription est personnelle et directe, et qu'aucun adulte n'est sous la tutelle d'un autre. La plupart des situations concernent des femmes. Il y a lieu de rappeler que la citoyenneté ne sous-tend pas une différence de sexe. Si la parité est une exigence électorale, les femmes se doivent d'aller s'inscrire au même titre que les hommes. De toute manière, les résultats définitifs des inscriptions nous le montrerons. Anecdotique, mais intéressant à signaler : les dimanches ont vu un afflux plus faible que celui enregistré au cours des journées qui les précèdent (voir figure suivante). L'argument présenté par certains que les fonctionnaires ne peuvent s'inscrire qu'au cours de ce jour là ne tient pas la route, car cette journée devrait voir une affluence plus massive… Des remarques évoquées ça et là autour de l'appel des citoyens à s'inscrire, comme s'il était de la responsabilité unique de l'Isie, omettent un fait important, à savoir que le choix d'élire une Assemblée constituante est un choix de société, et que le devoir d'incitation à s'inscrire est du ressort de tout citoyen responsable, surtout des structures de la société civile et des partis politiques. Le jeu de rôles qui devrait accompagner cette opération a été en partie raté, mais l'afflux massif de nos concitoyens aux bureaux d'inscription est une réponse édifiante quant au désir de ces derniers pour sortir de cette phase transitoire et d'affirmer leur droit à élire ceux qu'ils désirent gouverner le pays. Les ruraux ont montré une réponse très positive, dévoilant un sens de la responsabilité souvent négligé par les citadins.