Par Soufiane Ben Farhat Les dirigeants politiques n'ont parfois rien à envier aux scénaristes fantasques. Ils estiment par moments de bon ton de surfer sur les registres de la sinistrose. Allégrement qui plus est. Vendredi dernier, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a évoqué le chiffre d'"un million de morts". A l'entendre, ce serait le bilan de l'explosion d'une bombe nucléaire à Times Square, en plein centre de New York. Et pas plus tard qu'avant-hier, le Président américain Barack Obama a surenchéri dans le même registre. Il a estimé que "des organisations comme Al-Qaïda sont en train d'essayer d'obtenir une arme nucléaire, une arme de destruction massive qu'elles n'auront aucun scrupule à utiliser". Et le Président américain a justement ouvert avant-hier à Washington le sommet sur la sécurité nucléaire. Pas moins de 45 chefs d'Etat et de gouvernement y prennent part, en plus de l'ONU et de l'Union européenne. Fait significatif, il s'agit bien de la première rencontre du genre entièrement consacrée au terrorisme nucléaire. En même temps, une conférence informelle réunissait plus de 200 experts internationaux sur le sujet. Certes, dira-t-on, il vaut mieux s'alarmer préventivement outre-mesure que de regretter amèrement a posteriori. Soit. Seulement, il ne faut guère confiner le danger dans la seule perspective de l'utilisation du nucléaire par quelque nébuleuse terroriste. En effet, selon le Président Obama, "la principale menace contre la sécurité des Etats-Unis, à court terme, moyen terme et long terme, serait qu'une organisation terroriste obtienne une arme nucléaire…Cela pourrait changer la donne en matière de sécurité dans notre pays mais aussi partout dans le monde dans les années à venir". Or, à bien y voir, les détenteurs déjà du nucléaire font partie des dangers potentiels. Ce n'est pas parce qu'on est — ou que l'on se déclare — démocrate et libéral qu'on est exempt de dangerosité nucléaire ou autre. Les Etats-Unis d'Amérique en ont administré la preuve. Ils demeurent, jusqu'à nouvel ordre, le seul pays qui a eu recours à l'utilisation de la bombe atomique en 1945. Ce qui s'est traduit par des centaines de milliers de civils japonais décimés en quelques secondes. En même temps, et bien que l'arme nucléaire n'y ait pas été utilisée, plus d'un million d'Irakiens sont morts du fait de l'occupation américaine de la Mésopotamie. Passe encore pour Israël dont la possession de centaines de têtes nucléaires relève du secret de polichinelle. Bien pis, Israël menace de recourir à l'arme atomique, fréquemment et d'une manière à peine voilée. En toute impunité et sans que personne y trouve quelque chose à redire. N'empêche, pour maints analystes occidentaux, le véritable danger serait la possession par des groupes ou des pays islamiques de l'arme nucléaire. Parce qu'une arme atomique aux mains d'Etats ou de groupes musulmans ou islamistes serait fatalement un danger. En même temps, ladite arme serait paradoxalement inoffensive en cas de possession par un pays occidental ou par Israël. Lequel est un Etat militariste expansionniste ouvertement belliciste, bien qu'assimilé abusivement à l'avant-poste du monde dit civilisé au cœur des pays arabes et musulmans. A l'instar de la vérité, la crainte légitime est une, totale. Si elle ne l'est point encore, elle devrait l'être. Elle ne saurait guère être orientée et à géométrie variable pour ainsi dire. Autrement, la crainte se transformerait non point en réflexe conditionné par des données objectives, mais bien plutôt en obsession fâcheuse et idée fixe. A force de caresser un cercle, il devient vicieux. La posture salvatrice serait de considérer plausible la dérive nucléaire partout où se trouvent des armes nucléaires et quels qu'en soient les détenteurs. L'expérience a démontré que les pays les plus ouvertement démocratiques peuvent s'abîmer dans les guerres les plus désastreuses pour l'humanité dans son ensemble. L'exemple des deux guerres mondiales du siècle passé — qui ont opposé essentiellement des pays européens de vieille tradition libérale — en est témoin. Ce n'est point parce qu'on ne se réclame guère de l'islamisme qu'on a d'emblée quelque sauf-conduit moral et à perpétuelle demeure. Les dérives menacent partout. Quelles que soient les casquettes qu'on porte et les chapelles dont on se réclame.