• Adoption du projet de décret-loi portant organisation des associations • Déclaration de soutien au peuple libyen On ne peut pas dire de la Haute Instance qu'elle est coupée du pays et imperméable au rude climat qui entoure sa transition démocratique. C'est à la rencontre de ses positions hétéroclites, ses humeurs incompatibles et ses sages consensus que ce microcosme adoptait hier le projet de décret-loi portant organisation des associations, répliquait au dernier discours du Premier ministre, émettait une déclaration de soutien au peuple libyen et… soumettait à la vive critique son invité de marque Abdelfattah Amor autour du sujet qui fâche : la corruption, ses listes noires et ses niveaux de compromissions… Mercredi 24 août, la réunion périodique de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique est devant un ordre du jour plutôt chargé. En une séance de quatre heures, elle devait contenir les vives réactions de ses membres au discours du 19 août du Premier ministre, M. Beji Caïd Essebsi, adopter le projet de décret-loi portant organisation des associations et accueillir pour un débat fortement sollicité et tant attendu, le président de la commission d'investigation sur les affaires de la corruption et de la malversation, M. Abdelfattah Amor. La suite est facile à deviner : c'est le précieux propos de la corruption, des listes noires et des blocages de l'appareil judiciare qui se taillera le gros lot des discussions d'autant qu'il est à cheval sur l'exposé d'Abdelfattah Amor et le discours du Premier ministre. Abdelfattah Amor : le tableau hallucinant de la corruption… «En demandant à la Haute Instance de dresser elle-même la liste des symboles de la corruption, le gouvernement fuit ses responsabilités et nous renvoie la balle. C'est de plus une décision improvisée qui ne nous a pas été proposée à l'avance. Intervient la jeune Karima Derouiche, membre indépendante, qui propose la création d'une commission mixte composées de membres de la Haute Instance et d'autres de la commission d'investigation, capable d'avancer dans ce sens. Opinion partagée par d'autres intervenants. Mais, le plus clair de cette séance sera consacré à l'exposé de Abdelfattah Amor, au débat et aux vives réactions qu'il suscita. Invité par la Haute Instance, sollicité à rendre compte de l'état des lieux des investigations de sa commission, Abdelfattah Amor choisit le ton docte et l'analyse théorique de ce qu'il appelle « le système de corruption totale». Son exposé est solennel et brosse le tableau hallucinant d'une organisation pyramidale où le président et sa famille sont relayés par l'administration, le RCD, les collectivités locales, le milieu des affaires, l'appareil judiciaire, les médias : «C'est un système intégré et complémentaire qui s'est progressivement construit à partir de 2000 et a fini par prendre en otage le pays entier dès 2005. Le président régnait sur les marchés publics, la douane, le domaine foncier, la conversion et la cession des terres agricoles au profit de ses proches… Tout se décidait par lui. Le pouvoir avait une conception de prédation. Rien ne se méritait. Tout s'arrachait, dans l'absence totale de contrôle ou du moindre contre-pouvoir… C'est cela notre héritage; une sorte de culture de la corruption. Notre mission est désormais de démanteler ce système et ses différents foyers, en croisant documents, témoignages, dossiers et informations... ». Mais cet empirisme n'est pas pour satisfaire aux membres de la Haute Instance qui s'attendaient à des données palpables et à de nettes divulgations. Que la corruption, la malversation et la tyrannie se soient ainsi organisées en principes de gouvernance, cette information que le pays entier se partage depuis huit mois ne semble guère les émouvoir. Les membres demandent des résultats concrets et Abdelfattah Amor passe aux chiffres: 9.206 dossiers soumis à la commission, 3.920 dossiers étudiés, 200 dossiers devant les tribunaux, soit la majorité des affaires soumises à la justice, à ce jour… Mais là où cela bloque, c'est au niveau du ministère public, remarque Abdelfattah Amor qui propose la création d'une autorité et d'un système permanent de lutte contre la corruption. «Le démantèlement du système de corruption qui mine le pays requiert un travail dans la profondeur et la durée, une institution permanente». Le débat portera sur les lacunes de la commission, sa haute confidentialité qui fait écran à la transparence requise de son travail et ses résultats, la faiblesse de sa prestation, son incapacité à rendre public à ce jour un rapport détaillé sur les affaires traitées, sur les taux réels de la corruption, ses proportions et ce qu'elle fait perdre au pays; quelque chose qui ressemble à un «produit criminel brut»… D'autres intervenants évoquent l'absence d'une justice transitoire qui viendrait trancher la liste des avocats et celle des magistrats corrompus… … Et la phrase de trop Dans sa réponse aux critiques des membres de la Haute Instance, Abdelfattah Amor établit la difficile équation entre le secret des investigations, la discrétion nécessaire aux affaires et la transparence souhaitée, précisant que la commission a déjà publié l'agenda des affaires soumises à la justice, qu'elle publiera bientôt un agenda complémentaire comportant le sujet de l'affaire et son descriptif de façon anonyme. Evoquant l'ampleur du phénomène de la corruption, il rappelle que le chiffre de plus de 9.000 dossiers renseigne à lui seul sur la nature mafieuse et amplement partagée de ce phénomène ; quelque chose qui relève de la complicité collective qui fait que « nous soyons tous, à des degrés divers… ». Le mot de trop est lâché ; celui qu'on entend volontiers dans les cafés mais que l'on supporte mal dans la bouche du président de la commission des investigations. Car si une bonne trentaine de membres de la Haute Instance cria au scandale et quitta aussitôt la salle, le dérapage verbal de Abdelfattah Amor ne laissera personne indifférent. Mal tolérée, cette logique froide et fataliste qui veut faire entendre au peuple entier qu'il est complice de ses voleurs et de ses pilleurs est considérée d'autant plus dangereuse qu'elle bloque tout processus de sanctions et d'assainissement et ne laisse que le choix de l'impunité. Et même si le président de la commission des investigations demande des excuses et parle d'un lapsus, rien ne suffira à calmer les esprits échauffés. L'adoption du projet de décret-loi portant organisation des associations se fera avec la quarantaine de membres présents, en vertu d'un quorum atteint à l'ouverture, mais en l'absence des membres qui ont réagi aux propos de A. Amor et des quelques voix qui se sont élevées pour le report de cette adoption. Question de faire pression sur le gouvernement qui n'a toujours pas signé le projet de décret-loi sur les partis.