Comprendre le chaos dans lequel sombrait des années durant la presse tunisienne, c'est plutôt remonter aux années de braise qu'a vécues le secteur à l'ère du président déchu pour en déchiffrer diverses péripéties. Mais quelle était à vrai dire la réalité de notre presse nationale ? Un désert invivable, sinon, un bout de terre où la fertilité a cédé à la stérilité, à force d'arracher le lys pour y cultiver le sabre. Ainsi ou presque a été introduit le thème de la veillée ramadanesque organisée, jeudi, par l'Instance nationale pour la réforme de l'information et la communication à Tunis : «La contribution des journalistes tunisiens revenus de l'étranger dans la promotion du paysage médiatique national ». Présidée par M.Kamel Laabidi, président de l'Inric, accompagné de trois journalistes ayant évolué à l'étranger après avoir été chassés de leur propre pays et en présence de bon nombre de journalistes et communicateurs de tous âges, la rencontre a permis de revenir sur plusieurs anecdotes datant du temps de la discorde. Faut-il le rappeler ? La profession a eu davantage de soirées défaites que de matins triomphants. Une conclusion manifestement admise et consentie par les témoins d'une époque sombre. Mais, au fait, quand un journaliste quitte son propre pays pour endurer les épreuves de l'exil et du dépaysement ? A cette question, Slim Bagga, directeur du journal «L'audace » a observé que dès lors que le président déchu a fait main basse sur le secteur, les horizons ont été de plus en plus rétrécis et la médiocrité a gagné du terrain aux dépeus de la qualité. Les esprits libres et les plumes intègres, a-t-il ajouté, ont été réduits, répression et violence à l'appui, à une classe reculée occupant la marge de la société. A bien des égards, c'est la stratégie de ceux qui chassent dans les rivières pourpres, a-t-il ajouté. Lui, qui faisait déjà partie de ceux qui ont dit non au fanatisme, à la persécution et à la tyrannie, a été constamment harcelé et poursuivi par les services secrets du régime déchu. Ayant fait l'objet d'incessantes campagnes d'intimidation, à même de lui avoir collé une certaine collaboration avec le Mossad israélien, il a décidé de ne jamais lâcher prise devant un ennemi obsédé par son égo. Dans la même perspective, le journaliste a laissé entendre qu'il était constamment poursuivi. Même en France, il n'a point échappé au harcèlement et aux handicaps semés par des ennemis qui lui ont franchement déclaré une guerre où tous les moyens ont été permis pour le liquider. Mais il a su résister fort en cela de bien de principes auxquels il n'a jamais cessé de croire : dire la vérité et dénoncer le fanatisme et la dictature. Silence des… lecteurs Abondant dans le même sens, mais, sur un ton moins emporté, Wissem Souissi, journaliste culturel fraîchement revenu de France, a exprimé à l'ouverture de son intervention le bonheur de pouvoir participer à une réunion publique sans la présence des brigades du temps révolu. S'attardant sur ses débuts, il a fait remarquer qu'il a démarré sa carrière vers les années 80 au journal Le Phare. Un «journal de renom» qui a été suspendu en 1988, sous le silence et l'indifférence des acteurs du secteur et des lecteurs : «C'est ce qui nous a affligé le plus. Un journal entier, le phare du journalisme tunisien d'autrefois disparaît sans avoir préoccupé personne, mis à part la position notable de M. Hachmi Jegham, longtemps président de la section tunisienne d'Amnesty international». L'intervenant a également observé au fil de son témoignage que le régime Ben Ali a amplement misé sur le harcèlement direct et indirect pour étrangler les mots au fond des gorges avant qu'elles ne s'élancent. Des pratiques auxquelles il avait fait face en exerçant au sein de Réalités après avoir assisté à une réunion publique de certains opposants. «Force est de constater, par-delà, que j'avais comme préoccupation d'écrire pour critiquer aussi bien un régime fanatique et intolérant où tout allait mal qu'une opposition dont je me disais toujours que l'habit ne fait pas le moine. Pire, autrefois l'élite politique de notre pays essayait de faire croire à la jeunesse qu'il est un acte démocratique de présenter une candidature unique à l'élection présidentielle. Une sorte de dérision qui n'a fait que creuser davantage le fossé entre hommes libres et créatures devenues injurieuses par elles-mêmes». Ce faisant, le journaliste a quitté le pays vers le sud de La France où il a dirigé une revue culturelle et publié des articles dans le journal Libération sans pour cela avoir appartenu à un réseau ou à un autre. Aujourd'hui qu'il est de retour au berceau de la naissance, il compte poursuivre sa course contre la montre pour servir une cause noble : la liberté d'expression dans le cadre d'une matière médiatique digne de la Tunisie nouvelle. De son côté, Mohamed Fourati, rédacteur-en-chef actuel du journal El-Fajr , vient de revenir d'un pays arabe où il s'est réfugié après avoir fui un procès visant son emprisonnement pour avoir exprimé des idées et des positions divergentes avec celles du régime en place. Sans trop s'étaler sur les détails de leurs différentes expériences et conformément à l'essentiel de leurs témoignages, les trois journalistes semblent s'accorder sur le fait qu'à force de patience, on gagne bien le droit précieux de recommencer.