• Outre les blessés, des émigrés tunisiens basés en Libye ont perdu biens et économies. Un dictateur est passé par là... Comme toute révolution qui se gagne, celle qui vient de ravager la Libye a causé d'importants dégâts auprès des colonies étrangères basées dans ce pays. Inévitablement, la colonie tunisienne n'y a pas échappé. En témoigne le retour massif au pays de milliers de nos citoyens contraints à rentrer au bercail, par vagues successives, via les voies terrestre, aérienne et maritime. Les plus chanceux d'entre eux l'ont fait avec «zéro blessure». D'autres rescapés, hélas moins bien lotis, ont par contre ramené bobos et égratignures. Eclairage. Sauve qui peut Mohamed. A, 34 ans, n'en revient pas encore : «Au déclenchement des premières émeutes, se souvient-il, on a pris les choses à la légère, en se cramponnant à la conviction que les manifestations n'iraient pas loin face aux hordes sauvages lancées par Kadhafi. Mais il fallait vite déchanter, la révolte populaire ne faiblissait pas. Et lorsque j'ai décidé de prendre la fuite pour rentrer au pays, il était trop tard, car les Kateeb de Kadhafi ne laissaient plus personne quitter la ville de Misrata. Au final, il a fallu l'intervention miraculeuse d'un insurgé pour que je puisse prendre in extremis la poudre d'escampette, non sans avoir laissé là-bas tous mes biens mobiliers et électroménagers». Si Mohamed est rentré bredouille mais sain et sauf, Ali, 29 ans, menuisier de son état à Tripoli, a pu, lui, retrouver sa ville natale de Monastir, avec une fracture à la main droite. Se remémorant le jour de sa fuite, il précise que «j'ai dû passer quatre heures terré dans une cachette de fortune pour me protéger contre les rafales des mitrailleuses qui fusaient de partout. Une fois le calme rétabli, je me suis empressé de quitter ma retraite pour aller ailleurs. C'était malheureusement sans compter avec une dernière balle perdue qui, Dieu merci, ne m'a touché qu'à la main. Blessé et souffrant, c'est avec toutes les peines du monde que j'ai pu ensuite trouver refuge dans une maison de Libyens qui m'ont apporté les premiers soins. Sans eux, je serais passé de vie à trépas, tellement la blessure était grave. Après quoi, j'ai dû passer trois jours chez mes hôtes qui refusaient de me laisser partir, de peur d'être démasqué par les soldats du régime qui, renseignements pris, punissaient, par simple liquidation physique, tout citoyen libyen hébergeant des étrangers chez lui». Wanted Notre interlocuteur ira loin en assurant que sa mésaventure n'à rien à voir avec celles plus dramatiques vécues par d'autres Tunisiens travaillant dans ce pays. «J'ai appris, confie-t-il, que plusieurs de nos concitoyens ont disparu en Libye. On n'a plus de leurs nouvelles et on ignore encore s'ils sont morts ou vivants. Ce qui est certain c'est qu'ils ne sont pas rentrés en Tunisie, affirment leurs familles. Les a-t-on abattus? Ont-ils été faits prisonniers ? Se cachent-ils encore quelque part dans la très vaste étendue de ce pays ? Aucune réponse. Mystère. Pourvu qu'ils soient sains et saufs». Ali qui affirme connaître Tripoli et la colonie tunisienne basée là-bas comme ses poches, tient, au passage, à démentir les rumeurs selon lesquelles certains de nos émigrés auraient travaillé à la solde des renseignement libyens, et d'autres auraient rallié les rangs des insurgés. «C'est archi-faux» lance-t-il, visiblement sûr de lui. Et d'ajouter : «C'est vrai que des étrangers, particulièrement ceux de l'Afrique noire, l'ont fait par peur et en même temps… pour quelques dinars libyens de plus. Mais, croyez-moi, on n'a jamais eu de mercenaires au sein de notre colonie»... Triste destin Autre constat non moins frappant : la majorité des Tunisiens rentrés précipitamment au bercail ont laissé biens et économies en Libye. Et c'est à peine si quelques miraculeux parmi eux ont pu ramener, à la sauvette, de maigres billets de banque. «Après dix ans d'exil dans ce pays, je n'ai pu sauver que l'équivalent de deux millions de nos millimes», note Ali, l'air abattu. Il songe à regagner la Libye «dans l'espoir fou de récupérer mes biens mobiliers flambant neufs que j'ai abandonnés là-bas à mon corps défendant». Son copain Mohamed indique pour sa part qu'il a laissé en Libye les bijoux de sa femme, son ordinateur portable et l'équivalent de dix millions de nos millimes en appareils électroménagers. Ces bagages (autant dire ces trésors fruit de longues années d'émigration) sont-ils récupérables après les scènes de vandalisme et de saccage qui ont ravagé la capitale libyenne dans la foulée de la chute du régime ? L'exemple du Koweït De toute façon, nos deux interlocuteurs ne perdent pas espoir. «Nous serons, promettent-ils, incessamment sur place pour connaître le sort de nos biens laissés là-bas. En cas de disparition de ceux-ci, nous introduirons des réclamations auprès des autorités libyennes afin d'identifier une formule de dédommagement, surtout que nos papiers sont en règle et que de longues années de labeur, de sacrifices et d'exil ne devraient pas tomber à l'eau par la faute d'une révolution dans le déclenchement de laquelle nous ne sommes pas responsables». Irons-nous alors vers un … remake de l'exemple koweïtien, lorsque des émigrés tunisiens basés au Koweït ont pu être dédommagés après l'invasion de ce pays, en août 1990, par les troupes de Saddem Husseïn qui avaient alors semé la pagaille dans cet émirat ?