Par Hatem M'RAD Il arrive qu'on associe le principe de l'élection à celui du référendum. L'élection est en effet une consultation populaire, donc une sorte de référendum, qui est lui-même une consultation populaire. Ainsi, il n'est pas interdit de penser que le référendum le plus pratique pour le moment, c'est l'élection de l'Assemblée constituante du 23 octobre. Celui qui élit les constituants décide de la Constitution. A son tour, le référendum, en tant que type de consultation, est une forme d'élection. Il est un choix entre des principes à défaut d'être un choix entre des candidats. Mais, cela n'est que la partie visible de l'iceberg. A travers le choix entre des principes se greffe dans le référendum le choix entre des partis politiques et des candidats. Ce sont des hommes politiques et des partis qui agitent en fait les principes politiques et, en l'espèce, constitutionnels. La preuve, ce sont, semble-t-il 47 nouveaux partis, encore peu connus par rapport à leurs devanciers, qui n'ont pu ni participer au débat politique du début de la révolution, ni réussir à se faire désigner comme membres des divers organes politiques, instances et commissions de la transition, ont décidé avec d'autres membres de la société civile, d'agiter le spectre du référendum pour se frayer une place et se positionner (c'est de bonne guerre en démocratie) dans une arène politique désormais plus que multipartisane, plutôt hyperpartisane. Quoique 47 partis réunis, encore novices en la matière, n'ayant jamais été confrontés au processus électoral, ne représentant encore que peu de chose dans le panorama politique électoral, ne valent sans doute pas, comme le relèvent certains sondages d'opinion, le poids d'Ennahdha ou du PDP pris isolément, ou d'autres partis, comme Ettakattol ou Ettajdid, ou d'autres encore. C'est à croire que l'idée du référendum, contrairement à l'idée de la Constituante, passionne beaucoup plus une partie du microcosme partisan que la foule tunisienne. En revanche, l'opinion publique vaut, elle, pour l'instant quelque chose. C'est elle qui s'est dressée contre le gouvernement Ghannouchi pour réclamer haut et fort l'élection d'une Assemblée constituante, contre une minorité, appuyée par les Rcdistes, restée attachée à une timide et confortable révision partielle de l'ancien Destour de 1959. Et malgré les difficultés et les complications, prévisibles, apparues dans l'organisation d'une élection constituante —difficultés à l'honneur des organisateurs et de l'Instance supérieure indépendante pour les élections— ce choix l'a emporté sur celui, plus facile et moins compliqué, de la révision de l'ancien Destour. La Constituante est le choix de la révolution. C'est le choix du peuple. Et il n'est pas normal de garder la Constitution après une révolution. Nouvel ordre politique, nouveau choix constitutionnel, nouvel espoir national. L'idée du référendum, jointe à celle de l'élection d'une Assemblée constituante, à travers le mécanisme d'une urne dédoublée, introduit de la confusion électorale, pour ne pas dire de la gabegie politique, à la base même de la nouvelle Assemblée constituante. Il est unanimement admis qu'une Assemblée constituante est une autorité originaire, souveraine et non liée, censée être compétente pour choisir elle-même, et par elle-même, les principes politiques et constitutionnels fondamentaux engageant le peuple pour l'avenir, peuple qui l'a de surcroît élu. Or, décider de limiter les pouvoirs d'une telle assemblée par un référendum censé lui dicter sa conduite, par le choix préalable d'autorité de tel ou tel principe, de tel ou tel régime politique, est un non sens. C'est comme si, ce qu'on donne d'une main (la Constituante), on le reprend de l'autre (le référendum). Comment encore concevoir que notre Assemblée constituante, autorité fondatrice originaire (qui fait la Constitution) puisse détenir moins de pouvoir que le futur Parlement, autorité dérivée (qui, découlant de la Constitution, reste soumise à l'autorité originaire constituante) ? L'Assemblée constituante peut-elle être moins souveraine qu'un Parlement ? La Tunisie, soumise au regard du monde, aura alors engendré une première : une assemblée fondatrice originaire, qui serait en même temps dérivée et limitée, en l'espèce une assemblée bâtarde, viciée à le base. N'accablons pas les électeurs tunisiens qui ont déjà du mal à prendre leurs marques dans l'agitation qui entoure la transition (comme l'atteste leur peu d'empressement dans les inscriptions sur les listes électorales), et qui ne comprennent pas très clairement, comme l'indiquent les sondages, la philosophie de l'élection de l'Assemblée constituante, en dépit de tous les efforts publicitaires et pédagogiques, même s'ils admettent la nécessité d'une nouvelle Constitution pour le pays. N'ajoutons pas une autre difficulté, le référendum, sur les principes que seule une Assemblée constituante élue est compétente de choisir. Au fond, le peuple, en choisissant ses partis et ses candidats pour l'Assemblée Constituante, a par là même choisi indirectement tel ou tel principe politique ou constitutionnel ou tel ou tel régime politique. Les candidats et les partis sont censés avoir des convictions en la matière. Le problème, c'est que les partis ont, bizarrement, joué jusque-là, comme on le leur a reproché à juste titre, à présenter beaucoup plus des programmes économiques, politiques, idéologiques ou sociaux que des propositions ou des principes constitutionnels, qui seront pourtant l'objet des travaux de la Constituante. Ils ont surestimé l'enjeu politique par rapport à l'enjeu technique ou constituant. Mais, les partis, contrairement à ce qu'on pense, ne sont pas tenus de présenter des projets de Constitution dans les moindres détails, que le peuple n'aurait très probablement pas été en mesure d'assimiler pour le moment ou dans une campagne électorale limitée dans le temps. Avant de faire des projets de Constitution dans le détail, chose relevant des débats techniques et politiques à l'intérieur de la Constituante, la pédagogie aurait consisté pour les candidats (partis et indépendants) à proposer dans leurs programmes électoraux juste les grands principes qu'ils se proposent d'insérer dans la Constitution. Autrement, la campagne électorale aura de fortes chances d'être ésotérique pour le commun des mortels. Le référendum retrouve au contraire tout son intérêt et se justifie pleinement à la fin des travaux de l'Assemblée constituante pour faire vérifier par le peuple si les partis et membres de ladite Assemblée, à qui ils ont accordé leur confiance par l'élection, ont bien exaucé leurs vœux dans l'élaboration de la nouvelle constitution. Ils auront à vérifier si le mandat a été bien rempli. C'est en tout cas l'enseignement qu'on peut tirer des expériences historiques des Assemblées constituantes. Et ici l'élection et le référendum se retrouvent le plus naturellement possible. On commence par l'élection des candidats chargés d'élaborer une Constitution et on finit par l'approbation par référendum de la Constitution conçue par les constituants, outre l'adoption de la nouvelle Constitution une fois achevée par l'Assemblée elle-même. Chacun aura joué son rôle. Et si le peuple n'est pas satisfait du contenu de la nouvelle Constitution lors de ce référendum, les constituants seront contraints de réviser leurs copies. Et cela est une autre histoire.