Le faire-part a été publié quelque part dans la savane africaine. Les vrais amis ont eu beaucoup de chagrin. Un noble qui tombe si bas, c'est toujours regrettable et pitoyable. Les ennemis quant à eux, et ils ne manquaient pas, se sont préparés à la danse de la mort, tout en aiguisant leurs couteaux pour passer au dépeçage. Mais la mort étant sacrée, la trêve est de rigueur. Tous les amis, comme tous ceux qui se considéraient comme les énnemis héréditaires et potentiels, se sont précipités pour présenter leurs condoléances. Ils étaient en fait un peu gênés par leurs tenues, qui seyaient bien plus pour un dîner-gala que pour un enterrement. Ils avaient tout de même une excuse. Avant de passer au domicile du défunt, beaucoup d'entre eux sont allés présenter leurs meilleurs vœux de bonne continuation à un pauvre sans grade, qui avait réussi à être le meilleur parmi les meilleurs. Ironie du sort, en effet, dans la même semaine, celui qui n'était reconnu que par le bout des lèvres a ressuscité, alors que celui qui accaparait tout rendait l'âme. Ainsi va la vie! Mais maintenant que l'on est au chevet du corps sans vie, il ne sert à rien de plomber davantage le malheureux disparu. Monsieur Jabouh Msibah n'arrêtait pas de ruminer dans son coin, juste en face du cadavre qui commençait à empester. Il s'est brusquement aperçu qu'il était resté seul et que tout le monde était parti. Emporté par ses pensées, il se remémorait tous les plans échafaudés et mis soigneusement au point avec ses compagnons. Maintenant que tout est fini, il se revoyait redevenir «Monsieur Tout-le-monde». On ne l'appellera plus «Monsieur le Président». Il ne voyagera plus en première classe, et ne pourra plus choisir le chemin le plus long pour faire bénéficier de son auguste présence ses protégés. Finies les courbettes de ceux qui le recevaient, les frais de mission, les invitations à gogo, les plateaux de télévision... Pour la première fois de sa vie, il se sentait seul. Terriblement seul, alors que ses oreilles bourdonnaient sous l'effet d'une rumeur déferlante. Depuis quelques jours en effet, là où il se trouvait, que ce soit au salon ou aux toilettes, dans sa voiture ou au bureau, il entendait parfaitement ce terrible «dégage» qui a ébranlé le monde et fait fuir les dictateurs les plus puissants de la planète. Il n'osait pas le dire, mais il comprenait pourquoi «ils» avaient fui ou pour quelle raison «ils» avaient tout abandonné. Plongé dans ses pensées, il jeta un regard furtif en direction du corps sans vie. C'est qu'en dépit de tout, il ne croyait pas toujours à cette mort. Il se leva et se dirigea vers le corps inerte. Il était seul et prenant son courage à deux mains, il souleva avec précaution un pan du linceul. Ce qu'il vit lui glaça le sang : la tête du mort ressemblait à un ballon des années quarante. Derrière les lacets brillaient des dents blanches découvertes par un éclatant sourire. La tête le narguait. - Ha ha! tu viens t'assurer de ma mort? Figure-toi que je ne suis pas mort. Tu penses que tu «ma tuer», mais je bouge encore. Je ne suis que groggy et j'ai encore de belles années devant moi. A condition que je ne retombe pas encore une fois entre des mains de joueurs, techniciens et dirigeants arrivistes de tout bord, qui sont déjà sur les rangs et qui pensent tout savoir et tout connaître. - Mais... On m'a assuré que tu étais mort! - Figure-toi que ce n'est pas la seule chose que tu ignores! - Comme je suis heureux de te voir revenir à la vie. J'ai bien fait de temporiser et de ne pas avoir annulé mes réservations. Figure-toi que je ne sais quoi dire... - Justement, tu n'as rien à dire, mais tu dois par contre t'empresser de partir. C'est ta présence qui «ma tuer». - Je te promets de te protéger et... - Dégage... Sinon je te promets de te hanter ta vie durant. La seule chose que je te consens, c'est de pendre le cadre de ta sacrée photo aux côtés de ceux qui t'ont précédé. Et encore, je ne proposerai pas de créer une galerie pour ceux qui ont réussi et une autre, dans la cave, pour ceux qui ont échoué. En dépit du mal que tu as fait, tu passes à la postérité...