Par M'hamed BEN SASSI Il y a environ unesemaine, la décision d'interdiction de la publicité politique est entrée en vigueur. Seulement, malgré les sanctions auxquelles peuvent s'exposer les contrevenants, et contre toute attente, le PDP et l'ULP n'ont pas cru bon s'y soumettre au motif qu'elle est illégale et qu'elle émane d'un organe ne disposant pas de la qualité requise pour prendre pareille décision, en l'occurrence l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) . Leur attitude suscite une réflexion approfondie sur le bien-fondé de la décision au niveau réglementaire mais aussi et bien au-delà des aspects juridico-juridiques, des craintes et des appréhensions quant au devenir du processus transitionnel. Car, si sur le plan juridique la décision peut paraître contestable et critique, sur le plan politique, le refus de l'appliquer, surtout de la part d'un parti politique qui a longtemps combattu l'Etat de non-droit, est plus ou moins condamnable. Bien-fondé de la publicité politique en Tunisie C'est la première interrogation qui nous est venue à l'esprit lorsque des affiches, des insertions journalistiques, des spots à la télé et des séquences ont commencé à envahir l'espace médiatique. Le Tunisien n'ayant pas l'habitude de ce genre de publicité qu'il découvre pour la première fois et qui n'a rien à avoir avec la propagande politique, ne peut pas réaliser qu'une figure nationale , qu'un passé militant ou qu'un programme politique puisse faire l'objet d'une communication commerciale. Les éclaircissements fournis par les partisans de la publicité politique, invités à s'expliquer sur les plateaux de télévision et ailleurs, n'ont pas été réellement édifiantes. Pour ces derniers, la scène politique est un marché que se disputent les partis toutes catégories confondues, le politique est un produit vendable sur ce marché au même titre que tout autre produit, le parti politique est un producteur qui fabrique des programmes et vend des promesses (lire démagogie) et le citoyen est un consommateur qui ne paie rien sauf les pots cassés en cas de publicité mensongère. D'où le marketing politique qui consiste à soigner le look, la communication commerciale politique qui réside dans le publi-reportage et la publicité pour faire passer des messages. Les défenseurs de la publicité politique la justifient, également, par le trop plein de partis politiques qui ont besoin de se faire connaître à un public en manque d'informations et d'expérience pluraliste. A première vue, l'assimilation est tirée par les cheveux. Mais au regard de ce qui se pratique un peu partout dans le monde, elle ne représente pas une anomalie ( France, USA, Angleterre …). Dans ces pays, il n'existe pas de lois qui en définissent les conditions et modalités sauf des interdictions et des restrictions édictées dans le dessein de préserver la loyauté de la compétition politique. C'est ainsi qu'en France , la publicité a été interdite à la télévision et à la radio en vertu de la loi du 15 janvier 1990 pour réduire le risque des financements douteux des partis politiques. En Tunisie, l'interdiction a été prononcée par l'Isie d'où la polémique sur le bien-fondé de la décision. Interdiction de la publicité politique et mission de l'Instance Depuis la délégation au président de la République par intérim du pouvoir de légiférer, la légalité (à ne pas confondre avec légitimité) tire sa source dans les décrets-lois que prend le président . Toute décision et tout acte doivent être en conformité avec les dispositions des décrets-lois sous peine de nullité . L'Isie n'échappe pas à cette règle et ne peut exciper d'aucun statut particulier ni circonstances spéciales pour y déroger. Interrogés sur le fondement légal de la décision, les responsables de l'Instance se sont prévalus de la teneur du décret-loi 2011 - 27 du 18 avril 2011 portant création de l'Instance. Aux termes de ce décret-loi, l'Instance dispose de tous les pouvoirs pour organiser et superviser les élections dans toutes leurs étapes. Cependant ces dispositions ne valent pas carte blanche et les pleins pouvoirs attribués à l'Instance se limitent à la réalisation et au contrôle des opérations relatives au déroulement des élections. Les tâches qui lui incombent à ce titre sont limitativement citées dans l'article 4 du décret-loi. Aucune des tâches énoncées dans cet article ne confère à l'Instance le pouvoir de prescrire des interdictions et des restrictions encore moins lorsque l'interdiction n'est pas compatible avec sa mission. Superviser et préparer les élections, veiller à leur bon déroulement ne vaut pas interdire tel ou tel acte. Dans ce domaine, les seules interdictions à respecter et à faire respecter sont celles qui sont prévues dans la loi. Certains sont d'un avis diamétralement opposé et considèrent que l'interdiction vise à préserver l'égalité des chances des candidats et des partis politiques et ce, en conformité avec la mission de l'instance incluant le fait qu'elle consiste à "assurer le suivi de la campagne électorale et veiller à l'égalité des chances entre candidats et candidates". C'est d'ailleurs dans cet esprit que la loi française du 15 janvier1990 interdit la publicité politique deux mois avant le démarrage de la campagne électorale. Cependant cette interdiction en France est prévue par un texte de loi et non imposée par décision venant d'une instance politique. De ce fait, l'argument basé sur "l'égalité des chances" n'est pas tout à fait convaincant car en droit d'une façon générale toute interdiction doit être expressément prévue dans un texte de loi.