L'Etat réserve chaque année «le Prix Hédi Laâbidi» au meilleur travail journalistique. Hédi Laâbidi est d'ailleurs l'un des fondateurs du groupe «Jemaâ Taht Essour» et de la Rachidia. Il fit école à part en matière de journalisme et dans le monde des lettres et des arts. Hédi Laâbidi fut ainsi le premier rédacteur en chef du quotidien Assabah. Il écrivit plusieurs pièces de théâtre et des textes à chansons. Mais, avant tout, il a été l'un des grands bonhommes de la renaissance littéraire et artistique. Mais pour mieux connaître le personnage, voici ce qu'avait écrit Hédi Laâbidi sur sa vie au début des années 1950 dans la revue Ennadwa (La conférence), l'une des plus grandes dans les lettres et dont le rédacteur en chef était Mohamed Ben Ahmed Enneifer, alors que le directeur responsable était Mohieddine Derouiche. Hédi Laâbidi parle de sa formation culturelle en écrivant ceci : «Je n'appartiens pas à cette caste des grands maîtrisards ou docteurs d'autant que ma famille était pauvre et que j'ai perdu mon père à 5 ans. Cela eut pour conséquence de m'empêcher de poursuivre mes études dans des écoles supérieures. J'ai failli tout simplement rester à l'état brut et ne poursuivre aucune formation, n'eut été la grâce divine. J'ai ainsi suivi des études primaires dans l'une des écoles de l'association caritative islamique après avoir appris le Coran dans l'un des kottebs du quartier : du kotteb rue Troudi à Bab Saâdoun où j'ai vu le jour à celui de la rue Lakouas lorsque ma famille s'y installa, puis l'école Al Arfania et sa section d'apprentissage sur laquelle se sont relayés Cheikh Chedly Ben Dhrif et Cheikh Frej Abbès. Je rivalisais de talent en matière de psalmodie du Coran avec mes collègues Cheikh Ahmed Ben Miled (ancien mufti malékite) et Brahim Bouallègue (khalifa des banlieues, dans le temps). J'appris l'arabe et tout ce qui se rapporte à notre chère langue à l'école Al Arfania grâce à de grands noms, parmi les cheikhs les plus réputés, tels que Abdelkader Attia (responsable des Awkaf à Mahdia) et Larbi El Mejri (éminent enseignant à l'université zeïtounienne) et Mohamed Ben Jaâfar qui eut une part prépondérante dans ma formation et dans mon orientation. Par la suite, je suivis l'enseignement secondaire à la mosquée Zitouna où je retrouvai Cheikh Chedly Ben Dhrif et Larbi El Mejri». «Je ne crois pas trop aux courants littéraires» Pour ce qui est des personnages et des courants littéraires qui le marquèrent, Hédi Laâbidi écrit ceci : «Depuis mon enfance, je raffolais des livres et des romans et j'avalais pratiquement tout ce qui me tombait sous la main. J'ai lu El Manfalouti. Puis je me suis intéressé aux écrivains de l'exil : Ibrahim Khalil, Jebrane, Réïhani, Khalil Nouaïma, Ilya Abou Madhi. En même temps, Taha Husseïn, Al Mezui, Al Akkad, Heykel... m'attirèrent. Quant aux courants littéraires, je n'y crois pas trop et seule la littérature authentique me marque au-delà des qualificatifs qu'on peut lui donner comme un prêt-à-porter». Hédi Laâbidi et le journalisme «Déjà élève de primaire, j'ai cultivé une grande passion pour le journalisme, le théâtre et la musique. En rentrant de l'école, j'achetais au premier kiosque que je rencontrais un journal et commençais à le lire sans vraiment comprendre ce qu'on y écrivait. Je ne connaissais pas encore le nom des journaux et disais par exemple au vendeur : “Donnez-moi le journal où il y a le dessin d'un soulier pour signifier le journal Al Wazir de Taïeb Ben Aîssa qui possédait un magasin de chaussures et publiait donc ce dessin-là pour signifier son commerce”. Les jours passèrent et je commençais à saisir passablement le sens de ce que je pouvais lire sur les journaux. Ainsi, le journal Al Nadim de Houcine Jaziri attira mon attention grâce à son style humoristique et à ce qu'il publiait du poète érudit Saïd Aboubakr du recueil «Zaharat». Je ne mis de la sorte pas longtemps avant de publier à l'école un journal intitulé Al Nassim, une double-feuille grand format — où je traitais de la vie de l'école et des élèves — que je distribuais par la suite à mes meilleurs copains. C'était là le premier travail journalistique auquel je me livrais. Mais que ce fut dur car les incidents ne manquèrent pas du tout. En effet, le directeur de l'école me maltraita et me lança de sérieuses menaces au cas où je n'arrêtais pas mon journal, en raison de ce que j'écrivis sur les violences qu'il exerça à l'endroit d'un des élèves. En 1927, lorsque je fus contraint d'arrêter mes études à la mosquée Zitouna en raison de mon indigence, j'envisageai de rejoindre une des imprimeries en langue arabe afin d'apprendre un métier qui pouvait me sauver de la misère et, surtout, qui m'offrait le moyen d'apprendre le métier de journaliste. A l'imprimerie «Al Ahlia», rue du Diwan, qui allait par la suite être la propriété de Zine El Abidine Senoussi, j'ai découvert cet univers particulier du journalisme et fis la rencontre du doyen de la presse arabe, Mohamed Jaïbi, directeur du journal Al Sawab, de Houcine Jaziri, directeur d'Al Nadim et de Béchir Hanfi, patron de Lissen Echaâb. Sur le coup, mon bonheur fut incommensurable et je fis part à Mohamed Jaïbi de mon désir d'écrire pour les journaux. Il m'encouragea et m'encadra avec doigté et patience. Et ce furent mes premiers articles à caractère social, à commencer par un article réservé à la critique de l'état de l'enseignement à la mosquée Zitouna et la répartition des matières à enseigner par quelques cheïkhs, ce qui provoqua la colère des élèves. Mes relations avec le professeur Jaïbi se consolidèrent, ce qui lança sur des bases solides ma carrière de journaliste tant le valeureux directeur d'As Sawab recourait à ma contribution pour la correction du journal. Mes articles évoluèrent et traitèrent par la suite l'éducation de la femme, un sujet brûlant qui provoqua une vive polémique. A partir de là, on ouvrit le dossier des droits de la femme et Tahar Haddad lança ses courageux articles dans Al Sawab qui débouchèrent à leur tour sur son chef-d'œuvre Notre femme dans la charia et dans la société. Ce brûlot-là suscita des réactions virulentes dont témoignent pour l'éternité les journaux de l'époque. Depuis ce temps-là, j'ai exercé tous les modes et tous les métiers du journalisme : correcteur, rédacteur, critique littéraire et artistique, secrétaire de rédaction, directeur de quelques journaux, rédacteur en chef. J'ai travaillé pratiquement dans tous les quotidiens, hebdomadaires, magazines… Mes souvenirs se rapportant à ce métier rempliraient des bouquins entiers d'autant plus que j'ai vécu la naissance du Mouvement nationaliste et syndical». Hédi Laâbidi et le théâtre «Les origines de ma seconde passion, le théâtre, remontent à l'école primaire. J'étais demi-pensionnaire et réunissais mes copains pour leur proposer des rôles dans la pièce Slaheddine El Ayoubi, de Néjib Haddad tout en me réservant le rôle principal, c'est-à-dire celui de Saladin».