1- Comment vivez-vous le déroulement de la campagne électorale en tant qu'observateur impartial qui aurait pu être dans l'arène ? La campagne électorale a démarré depuis une semaine, et ce, neuf mois après la chute de l'un des régimes les plus durs dans le monde arabe. Sur le plan pédagogique, il me semble que jusqu'à maintenant on se comporte comme des élèves moyens. Plusieurs actes commis attestent que nos pratiques vont parfois contre la démocratie (violence physique et morale…). Pourtant, il faut avouer encore qu'il s'agit d'erreurs inévitables d'apprentissage. Longtemps confrontés à l'hégémonie écrasante du RCD, nos concitoyens se sont trouvés dans une situation marquée par deux éléments. D'abord, l'indifférence grave vis-à-vis de cette campagne. Parfois on a le sentiment qu'il y a un détachement sociétal de la campagne électorale. Déconnectés, les individus et les groupes se plongent corps et âme dans l'intime social de leur quotidien. Ensuite, la difficulté des choix, surtout dans un climat marqué par la défiance et le brouillage engendrés par une mosaïque de partis et de candidats indépendants, majoritairement méconnus des citoyens. Sur le plan sociologique, deux sociétés coexistent : la première est constituée des acteurs politiques fortement impliqués dans la politique et bien évidement la campagne électorale, tandis que la deuxième est une société indécise, voire indifférente à ce qui se déroule. Cette réalité dénote une fracture à la veille du scrutin. 2- Comment expliquer le manque d'intérêt manifesté par les citoyens tunisiens, en particulier les jeunes, vis-à-vis des partis politiques, en ce contexte de campagne électorale ? Comme je l'ai déjà mentionné ci-haut et d'après les sondages d'opinion fiables, les jeunes ont un comportement très défiant envers le processus de transition démocratique (gouvernement, partis, instances suprêmes…). Le gouvernement provisoire a renforcé ces réserves et ces craintes. La gérontocratie affichée d'une manière parfois provocante (le discours et la catégorie d'âge des ministres sont parmi les indices) a écarté les jeunes de la sphère affective de la révolution. Le départ précipité du seul ministre jeune est très significatif t. Dans tous les cas, il était un mauvais signe. Je pense aussi que l'amplification du problème du chômage entrave tout engagement réel dans ce processus. 3- Avec la lexicologie politique que les différents candidats utilisent et la similitude des programmes, comment un citoyen ordinaire peut-il, à votre avis, faire son choix ? Face à ce que vous avez évoqué, la majorité des électeurs et principalement ceux qui ont un capital politique très limité (dans les deux sens : sans statut politique et sans culture politique) vont adopter un mode de vote très particulier. L'esprit familial va jouer un rôle tres important. La famille va voter pour une liste quelconque parce qu'un de leurs membres l'a orientée vers ce «choix». Certainement d'autres formes de clientélisme vont voir le jour. Je pense que les approches communicatives adoptées par les différents acteurs concernés par les élections étaient très limitées. Le Tunisien moyen choisira ses candidats pour des motifs personnels (influence des voisins, des amis, des parents..). Ces cercles d'affinité jouent dans ces élections un rôle décisif.