• Le gouvernement provisoire reste les bras croisés face aux dépassements et à la torture • La commission nationale d'investigation sur les abus ne publiera pas les résultats de son enquête L'Organisation de lutte contre la torture en Tunisie a organisé, hier à Tunis, et en collaboration avec le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme, un point de presse sur le thème de la torture après la révolution; un thème délicat puisqu'il place la Tunisie post-révolutionnaire face à une défaillance persistante et face à l'irrespect prémédité des droits de l'Homme. L'Organisation a montré du doigt cet échec désormais intolérable au niveau du système de l'ordre mais aussi au niveau d'un gouvernement qui, bien qu'il permette les débats à propos de la torture, fait la sourde oreille par rapport notamment aux recommandations des défenseurs des droits de l'Homme et inactif par rapport aux mesures censées être urgentes. Le point de presse a, également, été l'occasion pour l'Organisation d'informer le public sur la parution de son rapport —le premier après la révolution— sur la situation de la torture durant la période, entre mi-janvier et fin septembre 2011. Présidant l'ouverture des travaux de cette rencontre, Mme Radhia Nasraoui, présidente de l'Octt, a indiqué que la poursuite des actes de torture après la révolution constitue un choc terrible pour les défenseurs des droits de l'Homme. «On s'attendait à ce que ces actes soient désormais stoppés et que ce système soit fini. Mais, à notre grand désarroi, la torture persiste. La sauvagerie de certains agents de police reprend de plus belle. L'Octt lance un cri de terreur quant à cette situation inadmissible», souligne Mme Nasraoui. Prenant la parole à son tour, M. Ridha Radaoui, représentant du Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme, a indiqué que l'Octt met le doigt sur l'un des échecs de la révolution. La torture se poursuit après la révolution et les preuves ne manquent pas tant au niveau national que régional. «Le dossier de la torture, indique M. Raddaoui, constitue un dossier fondamental de la transition démocratique. Il est au centre d'un passage entre un passé noir et un futur qu'on a du mal à bâtir. Pour fonder le futur, il est capital d'en finir avec les mauvaises pratiques». Après ce prélude protestataire des parties organisatrices, M. Mondher Cherni, secrétaire général de l'Octt, a pris la parole pour rappeler d'abord le militantisme de l'Octt pour la lutte contre la torture et l'irrespect du droit à la dignité. L'Octt, jadis l'Association tunisienne de lutte contre la torture, a œuvré, depuis sa création en 2003, pour lever le voile sur les violations des droits de l'Homme, le recours illégal à la violence comme châtiment dans les prisons et à la torture sous toutes ses formes. «Avant la révolution, nous avons élaboré plusieurs rapports sur la torture en Tunisie et relatifs notamment au procès des salafistes en 2008, du groupe de Soliman, des événements des mines de Redayef ainsi que des procès relatifs à des étudiants», rappelle l'orateur. Il passe en revue les conventions internationales ratifiées par la Tunisie pour la lutte contre la torture à l'instar du protocole facultatif de lutte contre la torture, la convention de Rome ainsi que le protocole d'abolition de la peine de mort. Toutefois, ces textes de loi n'ont pas été jusque-là respectés. «Pis encore, la commission nationale d'investigation sur les abus a décidé de ne pas publier son rapport; un document qui ne sera remis qu'au président de la République, ce qui n'est pas une bonne idée et sape la crédibilité des résultats», renchérit M. Cherni. L'orateur informe, par ailleurs, l'assistance sur les défaillances commises à l'égard de jeunes protestataires et manifestants. Il indique que la répression policière et la torture exercées sur les Tunisiens commencent par la rue et se poursuivent dans les prisons. «Les agents de police s'adonnent à la violence dans la rue. Une fois les prévenus dans les véhicules de police, les agents profitent de cette situation pour les frapper et les torturer. Les techniques de torture sont restées les mêmes. Les prétextes aussi: manifestations pacifiques, sit-in, des actions qui émanent pourtant de droits légitimes», ajoute l'orateur. Il indique également qu'outre les actes de torture proprement dits, les agents de police se sont introduits au beau milieu de la nuit pour perquisitionner chez des familles à Kasserine, Jbeniana et Kairouan. M. Cherni appelle à ouvrir une enquête sur ces dépassements. Il évoque les dépassements commis par la police après la fuite de certains prisonniers. M. Cherni indique que bien que certains prisonniers aient gardé une attitude neutre, ils ont été mutés et maltraités ainsi que ceux qui ont tenté de fuir. L'orateur évoque, également, le problème des martyrs et des blessés de la révolution. Il indique que ce dossier relève de la justice militaire. «Nous avons appelé à la création d'un circuit juridique spécialisé dans les affaires des dépassements relatifs aux droits de l'Homme ainsi que le dossier des martyrs et des blessés de la révolution. Ce dossier ainsi que celui de la violation des droits de l'Homme ne peuvent être renvoyés à plus tard. Or le gouvernement a tendance à négliger ce dossier. L'Octt recommande la révision de la loi militaire et la mise en place d'un circuit juridique spécialisé. Les dossiers relatifs aux crimes de torture commis depuis l'Indépendance doivent être rouverts», insiste M. Cherni. Mme Radhia Nasraoui avance des preuves de la poursuite de la torture après la révolution. Elle donne, à titre indicatif et fort révélateur, l'exemple de Sedki Lahlimi, un jeune de Kasserine qui a été à maintes reprises soumis à la torture et qui, à chaque fois qu'il témoigne de ce qu'il a enduré, se trouve de nouveau arrêté et torturé. «Nous l'avons invité pour qu'il témoigne devant le public de ce qu'il a subi. Il n'a pas réussi à se déplacer jusqu'à Tunis puisqu'ils l'ont arrêté à Kairouan afin de l'empêcher de lever encore une fois le voile sur ces crimes», indique Mme Nasraoui. Recommandations Le rapport de l'Octt, qui ne compte qu'un nombre réduit de cas de torture et de violence commis après la révolution, et plus précisément de la mi-janvier et jusqu'à la fin du mois de septembre, s'achève sur un ensemble de recommandations. L'Octt appelle le gouvernement provisoire à ratifier le second protocole facultatif du pacte international des droits civils et politiques relatif à l'abolition de la peine de mort. Elle invite également les organisations œuvrant pour les droits de l'Homme à réfléchir sur la création d'un organisme de prévention contre la torture. Elle appelle les forces de l'ordre à respecter le droit d'expression des manifestants et protestataires pacifiques et à opter pour des interventions policières appropriées aux événements. L'Octt recommande également d'interdire, par écrit, aux agents de police et aux agents des établissements carcéraux de pratiquer la violence sur les prisonniers et d'attenter à leur dignité. Elle appelle également à la révision des textes de loi afin d'assurer aux personnes en état d'arrestation et aux prisonniers plus de garanties quant au respect de leurs droits. Parmi les recommandations de ce rapport figure l'amélioration des conditions d'emprisonnement, le réexamen des procès d'amnistie et de l'allègement des peines. Il convient, aussi, de mettre en place une plateforme de justice transitoire efficace comptant une commission nationale pour la réalité et l'équité ainsi qu'un circuit juridique spécialisé pour traiter les affaires de torture. L'Octt appelle également à ce que les procès des martyrs et des blessés de la révolution soient désormais traités par un circuit juridique spécialisé et non par la justice militaire. Elle recommande à l'Etat d'avouer les crimes de torture commis sous l'ancien régime, de s'excuser auprès des victimes, de réviser les procès dont les aveux ont été arrachés sous la torture et de permettre aux organisations de défense des droits de l'Homme d'être, désormais, partie civile dans les procès sur la torture. L'Octt propose la création d'une Cour des droits de l'Homme ainsi que la création d'un fonds public d'aide juridique et de compensation des victimes, des blessés et des familles des martyrs. Elle recommande également la création d'un centre médical, psychologique et social destiné à la prise en charge des victimes de la torture.