Par Moncef Guen* La Tunisie nouvelle doit être ambitieuse. Elle doit rompre avec le modèle économique de l'ancien régime, dominé par l'ultra libéralisme, la corruption, le népotisme, l'inégalité des chances, la négligence du développement rural et des régions intérieures du pays et le verrouillage intellectuel. C'est un modèle qui a abouti à créer plus de chômage que d'emplois, plus de pauvreté que de richesses, plus d'injustice que de progrès social. C'est un modèle qui a attisé la consommation plutôt que l'épargne, le sous-investissement plutôt que la création de richesses futures, l'assistanat plutôt que l'amour du travail et la participation citoyenne. C'est un modèle qui a encouragé le vol de la chose publique, le mensonge des statistiques et la destruction des valeurs de justice et d'équité. L'absence de politique industrielle a amené la prolifération des activités de sous-traitance dont la valeur ajoutée est minimale. L'absence d'une politique de revenus a aggravé les disparités entraînant l'enrichissement dévergondé d'une minorité et la paupérisation de la majorité. L'absence d'une politique agricole a engendré un exode rural massif vers les villes et surtout vers le Grand-Tunis dont l'extension consomme tous les ans des centaines de milliers d'hectares de terres productives. Le nouveau modèle de la Tunisie nouvelle doit répondre immédiatement aux attentes du peuple qui se cristallisent essentiellement autour de l'élimination du chômage qui a pris des proportions considérables. Le gouvernement, issu de l'Assemblée constituante, devra s'atteler tout de suite à mettre en œuvre un programme assurant le plein emploi de toutes les forces vives du pays dans les cinq prochaines années. Le modèle résumé dans le tableau suivant pourrait constituer l'ossature de ce programme de plein emploi. Certains diraient que ce modèle est très ambitieux. La Tunisie n'a jamais créé autant d'emplois et n'a jamais eu des taux d'investissement aussi élevés. Oui mais précisément, nous sommes dans l'ère post-14 janvier avec tout ce que cela implique d'innovation et d'ambition. Qui au début de 2010 aurait pu prédire que la montée de l'insoumission et de l'abandon de la peur par le peuple pouvait faire dégager la dictature ? Par la même logique, le peuple sera au rendez-vous pour faire dégager le chômage. Porter le taux d'investissement à 26 % du PIB l'année prochaine est parfaitement faisable. Mais il faut utiliser cette année pour faire aboutir les réformes structurelles nécessaires telles que la réforme fiscale, l'élaboration d'une politique industrielle, l'élaboration d'une politique de développement rural et de mise en valeur des terres incultes, l'élaboration d'une politique de développement régional, la refonte de la politique d'encouragement aux investissements et la création de zones franches, la réforme de l'enseignement pour l'axer vers les mathématiques, les sciences et la technologie, l'ouverture de nouveaux marchés internationaux et la mobilisation de ressources intérieures et extérieures en faveur de l'investissement productif. Porter l'investissement à 31 % du PIB en 2013 est faisable puisqu'une dynamique en faveur de la création de richesses sera mise en place. Même les taux de 41 % et 42 % en 2015 et 2016 ne sont pas impossibles quand on sait qu'un pays comme la Chine investit, depuis des années, plus de 48 % de son PIB. La garantie de 120 jours de travail par an à tout demandeur d'emploi en zones rurales, comme le fait l'Inde, est une source importante d'emploi et aussi un moyen de transférer des revenus vers ces zones, laissées pour compte pendant si longtemps. Enfin, une lutte implacable devra être menée contre la corruption et le népotisme, Des lois rigoureuses devront être adoptées pour lutter sérieusement contre ce fléau dont les coûts économiques, sociaux et culturels sont très élevés. Ces lois devraient être appliquées rigoureusement par un système judiciaire intègre et indépendant. Le peuple tunisien, qui a été capable de réussir la première Révolution du XXIe siècle ayant balayé et balayant encore des dictatures parmi les plus dures, les plus tenaces et les plus oppressives des temps modernes, est capable de se mettre tout entier au travail pour faire de cette terre une terre de progrès économique et social et assurer un avenir florissant aux générations futures.