La Presse — Enquêter sur ce personnage trouble, attendu comme un messie par les milliers de personnes, notamment à Sidi Bouzid, qui ont voté pour ses listes, plus que controversé et traité de tous les noms par des collectifs de partis et d'avocats, n'a pas été chose aisée. Comment se concentrer sur le passé de Hachemi Hamdi, émaillé de coups de théâtre et de nombreuses zones d'ombre, lorsque son actualité évolue à la vitesse de la lumière ? Comment trouver le fil rouge qui raconterait la vie et la «vérité» de cet homme dont les résultats exceptionnels sortis des urnes du 23 octobre ont déstabilisé plus d'une force politique «historique», alors que chacune de ses déclarations retransmises à partir de sa chaîne de télé «Al Mustakilla», basée à Londres, ou recueillies à travers les stations de TV et de radios nationales provoquent polémiques et créent le buzz sur les réseaux sociaux ? Enquêter sur ce personnage trouble, attendu comme un messie par les milliers de personnes, notamment à Sidi Bouzid, qui ont voté pour ses listes, plus que controversé et traité de tous les noms par des collectifs de partis et d'avocats, n'a pas été chose aisée. Comment se concentrer sur le passé de Hachemi Hamdi, émaillé de coups de théâtre et de nombreuses zones d'ombre, lorsque son actualité évolue à la vitesse de la lumière ? Comment trouver le fil rouge qui raconterait la vie et la «vérité» de cet homme, dont les résultats exceptionnels sortis des urnes du 23 octobre ont déstabilisé plus d'une force politique «historique», alors que chacune de ses déclarations retransmises à partir de sa chaîne de télé «Al Mustakilla», basée à Londres, ou recueillies à travers les stations de TV et de radios nationales provoquent polémiques et créent le buzz sur les réseaux sociaux ? Le long d'un parcours déroutant, incohérent, Hachemi Hamdi* apparaît comme un sérial retourneur de vestes. Qu'est-ce qui le fait courir ? Probablement la fascination du pouvoir et ce besoin acharné d'être toujours sous les lumières y compris lorsqu'il a comme aujourd'hui, à force de coaliser avec des formations politiques de tous bords, de droite comme de gauche, épuisé toutes ses cartes... Une jeunesse islamiste Mohamed Hachemi Hamdi est né en 1962 à El Hawamed, village situé à 12 km de Sidi Bouzid et portant comme emblème le nom d'une importante tribu du Centre-Ouest du pays, celle de Hachemi. Dans l'un de ses talk-shows sur «Al Mustakella», l'homme a affirmé s'apparenter à «la lignée du Prophète Mohamed». Sa famille fait partie de la modeste notabilité du village. «Ce sont de petites gens à la moralité irréprochable, religieux mais sans extrémisme», assure Lazhar Hamdi, fervent supporter du fondateur de la chaîne britannique. Il poursuit ses études secondaires à Sidi Bouzid et se voit grâce à ses talents de récitateur du Coran propulsé par le directeur imam de son lycée. Le Mouvement de la tendance islamique (MTI) repère ce garçon, orateur doué, plein d'assurance, qui présente tous les signes extérieurs d'un bon dirigeant. Il s'en mordra les doigts quelques années plus tard... Hachemi Hamdi deviendra une fois monté à Tunis pour poursuivre des études en langues et lettres arabes à La Manouba l'un des leaders les plus influents du mouvement islamique à l'université au début des années 80. Années où il fera deux courts séjours en prison, en 1983 et en 1984, tout en poursuivant des collaborations régulières avec le journal Essabah et les revues Le Maghreb et Errai. «De quelle souffrance parlez-vous ? C'est une prison quatre étoiles de luxe, celle qu'a connue Hachemi Hamdi. Notre repère à nous c'est combien de «rôtis», de noyades ou d'électrocutions nos hommes ont subis. Il n'a rien enduré de tout cela», insiste Zoubeïr Chehoudi, membre de l'Instance constitutive d'Ennahdha. Un agent double ? Hachemi fuit le pays en 1987 au moment où Bourguiba poursuit et condamne des milliers d'islamistes à de lourdes peines. A Londres, il se spécialise dans l'histoire et les études islamiques et décroche en 1996 le titre qu'il aime tellement arborer «docteur ès lettres». A Londres, il continue à militer avec les islamistes et se rapproche beaucoup d'un autre exilé tunisien dans la capitale britannique... Rached Ghannouchi, dont il devient le bras droit. A quand remontent ses liaisons dangereuses avec le président Ben Ali ? Aurait-il été un agent double, lui dont le journal Al Mustakella se vendait d'après notre confrère Najeh M'barek du quotidien le Maghreb (l'édition du 26 octobre) en Tunisie depuis 1993? En tout cas, le début du lourd contentieux qui oppose Hachemi Hamdi au Mouvement islamique tunisien, baptisé depuis 1989 Hezb Ennahdha (parti de la Renaissance), commence selon Slah Eddine Jourchi, journaliste, ex militant MTI et activiste des droits de l'Homme, avec la publication en 1996 et en anglais du futur Docteur de sa thèse dans laquelle «il divulgue des documents secrets du mouvement que les services secrets du pays hôte exploitera à souhait». Trahison suprême. Exclusion d'Ennahdha. Hachemi entre dans la dissidence. En 1999, il lance sa télévision et commence à jouer les intermédiaires entre le pouvoir tunisien et les islamistes en difficulté, les prisonniers, ceux interdits de passeports, de droits sociaux. Chose qui affole les dirigeants d'Ennahdha. L'ombre de la fitna (discorde) rôde : «Ils ont considéré la mobilisation de Hamdi en faveur des leurs comme une volonté préméditée pour créer une scission au sein du mouvement», ajoute Slah Eddine Jourchi. Voilà ce qui explique d'une part le veto opposé par Rached Ghannouchi et Hamadi Jebali au moindre dialogue, à la moindre coalition avec les listes indépendantes de la Pétition populaire que dirige Hechmi Hamdi et qui ont raflé 25 sièges aux élections de l'Assemblée constituante avant que l'Isie ne décide le 27 octobre dernier d'invalider six listes. Et d'autre part, le refus catégorique et visiblement terrorisé perceptible à travers l'écran du fondateur d'Al Mustakella de réintégrer le pays tant que Jebali serait l'élu favori au poste de prochain chef du gouvernement (voir La Presse d'hier). Le Docteur contre le Président Mais pourquoi la lune de miel entre le Docteur et le Président s'arrête-t-elle net ? A la fin de l'année 2000, Hachemi Hamdi ouvre sa télé aux opposants les plus acharnés au régime de Ben Ali. Dans un article intitulé «Internalisation du champ télévisuel en Tunisie», le sociologue des médias Riadh Ferjani écrit* : «L'émission intitulée Al Maghrib Al Kabir (le Grand Maghreb), mais exclusivement consacrée à la Tunisie, fera, dès le départ, l'objet d'un débat au sein de la société tunisienne puisqu'elle donne la parole aux personnalités de l'opposition démocratique non reconnue par les autorités. De Mohamed Charfi, ancien ministre de l'Education nationale, à Moncef Marzouki, ex-président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, en passant par Omar S'habou, figure du journalisme indépendant, exilé en France, les bêtes noires du gouvernement ont pu s'exprimer librement sur les antennes d'Al Mustakilla, devant une chaise vide réservée au représentant du pouvoir. Ce dernier, tout comme le mouvement islamiste Ennahdha, n'a jamais daigné répondre aux sollicitations répétées de Hachemi Hamdi». L'émission Al Maghrib Al kabir, diffusée dimanche après-midi, provoque en Tunisie la fureur des autorités et une campagne médiatique se déchaîné dès le mois de juin 2001 contre son initiateur jugé sur les pages du journal La Presse d'«intégriste intégral», de «traître», d'«espion». Sa télévision est taxée d'«écran de la honte». En juin 2001, Sihem Ben Sedrine, porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie interviewée par Al Mustakilla révélera des noms de personnalités mêlées à des affaires de corruption. A son retour de Londres, elle sera interceptée dès son arrivée à l'aéroport de TunisCarthage et emprisonnée pendant plus d'un mois... (Demain : à l'ombre du RCD) (*) Contacté à Londres au téléphone pour une demande d'interview, Hachemi Hamdi après avoir accepté avec un enthousiasme apparent notre proposition, n'a pas répondu à nos questions envoyées par email. Nous attendons toujours... (*) Article publié dans l'ouvrage collectif : «La Mondialisation des médias contre la censure», sous la direction de Tristan Mattelart, Paris, Ina-Deboeck, 2003.