Remue-ménage et remue-méninges du côté du Tribunal administratif. De plaidoirie en délibération, cent quatre recours relatifs aux résultats de l'élection de l'Assemblée constituante sont en cours d'examen depuis dimanche, dont vingt-deux devront faire aujourd'hui l'objet des prononcés définitifs de la plénière... En attendant, quels sont les vrais visages et les vraies dimensions du premier contentieux électoral indépendant en Tunisie ? Du couloir principal à la salle d'audience, réponses hier auprès de parties requérantes, magistrats et avocats... s'adonnant, chacun à sa manière, à cette première quête de légalité... électorale. Mardi matin. Au troisième jour de plaidoiries, le Tribunal administratif ne désemplit point. Du couloir principal à la salle d'audience, parties plaignantes, avocats et magistrats pressent le pas, se croisent et vaquent chacun de son côté à une toute première quête de légalité électorale, jamais connue en Tunisie. Le tableau d'affichage promet quelque 24 affaires soumises à plaidoirie, rien que pour cette matinée. Aujourd'hui, la séance plénière devra prononcer sa décision concernant une première série de vingt- deux affaires examinées depuis dimanche. Depuis dimanche, plaidoiries et délibérations non-stop Dans les quarante-huit heures qui ont succédé à l'annonce officielle des résultats préliminaires de l'Assemblée constituante, cent quatre recours ont été, en effet, adressés au tribunal. Et depuis dimanche, celui-ci multiplie les plaidoiries et les délibérations non-stop jusqu'à des heures tardives de la nuit. Question de rendre ses décisions, par définition, irrévocables et inattaquables dans un délai maximum de dix jours à propos de toutes les affaires et pour tous les plaignants. Ici, on est loin de la psychose générale post-résultats. On est loin des sentiments de persécution et de la vague de discrédit jeté sur les élections et sur la «démocratie». On vient juste demander justice et on attend le dernier mot de la justice. «Je représente la liste indépendante du Martyr dans la circonscription de Gafsa qui intente un recours à l'encontre l'Instance régionale et l'Instance supérieure indépendante pour les élections. La raison du recours c'est la contradiction entre les rapports des observateurs et des représentants de la liste dans les bureaux du vote et les résultats annoncés par l'isie. L'autre raison c'est l'erreur qui s'est glissée dans les numéros des listes sur le bulletin de vote. Le nôtre a été accordé à une autre liste... Aussi, demandons-nous le recomptage des voix dans l'ensemble de la circonscription à partir des PV des bureaux de vote...». Me Salem Moumni vient de quitter la salle d'audience après avoir plaidé pour le recours n° 63. A l'intérieur, Me. Youssef Rezgui articule de son côté sa plaidoirie sur la question des bulletins blancs. Recours contre une tête de liste médecin, «mounached» et repris de justice Debout devant la salle d'audience, Riadh Mrabet suit les plaidoiries de bout en bout. Il est enseignant universitaire, tête de liste du PDP dans la circonscription de Mahdia. Il est bientôt rejoint par l'avocat qui représente sa liste. Le recours se fait cette fois contre une tête de liste indépendante «Justice et développement», à propos de la personne de Lotfi Ben Mosbah, mounached (signataire de l'appel Ben Ali 2014), échappé au black listing de la Haute Instance, médecin de son état, et repris de justice... Selon l'avocat chargé du recours, la requête est bien ficelée et toutes les preuves y sont. Contre des mounachidine auquel le décret-loi n°35 interdit la candidature aux élections de la Constituante, les plaignants du pôle démocratique intentent aussi des recours. Le pôle présente cinq recours en tout ; deux contre des listes d'Ennahdha et de l'UPL autour de l'argent politique et de l'influence des électeurs au cours du silence électoral et deux autres contre des listes du parti «L'initiative» et de la liste indépendante «Justice et développement» en raison de leurs têtes de listes recrutées parmi d'anciens membres du RCD et des mounachidine. Me Kamel Chérif, avocat auprès de la Cour de cassation, explique cette présence des mounachidine dans des listes passées au crible par l'Isie, par le fait que beaucoup de noms ont été tenus secrets et n'ont pas été communiqués à la Haute Instance et à l'Isie au moment de l'enregistrement des listes des candidats... «Maintenant, au tribunal de dire son dernier mot», lâche l'avocat, à bout de souffle. «La non-maîtrise de la procédure par les requérants va biaiser une bonne partie des recours» Sur les vingt-quatre affaires qui se suivent et se ressemblent, une bonne partie sont intentées contre l'Isie par des listes invalidées de « la pétition » ou des listes victimes d'erreurs de numéro, de logo. Mais les avocats de l'instance sont fermes. Me. Lassaad Belhedi et Me Riadh Touiti viennent de plaider respectivement contre les requérants des listes d'Ennahdha, du parti de la modernité et de la «Pétition» en invoquant juste la conformité des décisions de l'Isie avec la loi. Ce qu'ils relèvent en revanche c'est l'importance de ce que le tribunal va décider : «Le plus important c'est cette jurisprudence qui va naître, c'est la position des juges sur l'interprétation de la loi et la manière de l'appliquer. Du reste, à comparer avec le nombre de listes et celui des candidats, le nombre de recours n'est pas très important. On aurait pu en avoir beaucoup plus, d'autant que c'est la première fois que la loi s'applique...» Pour Me Touiti la non-maîtrise de la procédure par les requérants va biaiser une bonne partie des recours. «Ils n'ont pas pris des précautions pendant la campagne et pendant le scrutin où ils auraient dû d'ores et déjà se faire accompagner par des équipes de juristes, d'huissiers et d'avocats pour pouvoir justifier aujourd'hui des infractions relevées et auxquelles il manque souvent la preuve solide. Beaucoup n'ont même pas lu la loi pour savoir si le recours tient ou pas. C'est la leçon que les candidats à la vie politique doivent tirer pour l'avenir car leur ignorance dessert la crédibilité, alors que leur maîtrise a le meilleur effet dissuasif...» «Mieux que mille, une seule affaire peut bouleverser toutes les donnes» Il est bientôt quatorze heures quand le magistrat auprès du Tribunal administratif quitte la salle d'audience et rejoint son bureau. Pour Riadh Rekik, si vices il y a c'est au seul tribunal de l'apprécier à l'assemblée plénière et pas avant. «Il y en a eu notamment en matière de non respect de la procédure qui exige la représentation par un avocat auprès de la Cour de cassation ou encore par le dépassement du délai légal de quarante, huit heures pour la remise du recours après les résultats» Mais pour le magistrat «le tribunal c'est le juge de la légalité. On se prononce ici pour donner leçon de légalité à l'administration au cas où elle omet de respecter la loi». Dans cette optique là et à travers ces lunettes, le tribunal aura examiné soixante et un dossiers en attendant les prononcés définitifs qui commencent aujourd'hui et se poursuivront parallèlement aux plaidoiries et aux délibérations dans un marathon qui inclurait l'aïd. Pour M. Rekik, les recours formulent trois requêtes qui sont : le recomptage des voix, l'invalidation d'une liste ou l'annulation du vote à l'échelle d'une circonscription. Cependant que le tribunal dispose de la latitude à apprécier l'opportunité du recours comme le nombre de voix à gagner par le requérant au bout de la procédure». Tout compte fait, on s'attendait à un nombre beaucoup plus important de recours au regard de la vague de colère qui a suivi les résultats et il est une vérité ici c'est que le nombre de recours est loin d'être décisif en lui-même. Une seule affaire peut bouleverser toutes les donnes mieux que ne le font un millier d'affaires...» En est-il dans les coulisses du tribunal administratif de ces affaires qui bouleversent les cours des choses et qu'on saurait dans quelques jours ou quelques heures ?