• La BAD lancera, le 1er février, «Souk Al Tanmia», un mécanisme de financement des jeunes porteurs d'idées de projet • Le système d'éducation actuel n'encourage pas l'esprit critique et ne favorise pas l'approche de résolution des problèmes. • Certaines formations demeurent inadéquates et incomplètes, faute de passerelles entre le cursus classique et d'autres disciplines. Graine de bien ou de mal ? On ne sait plus comment qualifier la jeunesse tunisienne. Chômeur et diplômé, le jeune de nos jours trouve du mal à se tailler une place dans le marché du travail. En parallèle, les entreprises recherchent désespérément des profils qui répondent au mieux à leurs besoins. Cela a généré, d'un côté, des entreprises à faible taux d'encadrement et, de l'autre, un marché de travail qui regorge de diplômés. Et au centre, un système éducatif inefficient. Résultat, un taux de chômage galopant. Pour débattre de cette thématique, on s'est entretenu avec Dr Agnès Soucat, directeur du développement humain à la BAD. Entretien. S'agissant de l'une des principales causes de la révolution tunisienne et la première des préoccupations de toutes les couleurs politiques, le chômage refait surface dans chaque analyse. «La problématique du chômage des jeunes et particulièrement des diplômés est un problème structurel qui se trouve actuellement aggravé par la conjoncture nationale et internationale». En effet, après la révolution, le climat des affaires a subi un douloureux changement. Ces secousses ont été ressenties essentiellement dans le secteur du tourisme mais aussi dans la majorité des secteurs de sous-traitance. Le deuxième aspect conjoncturel est la crise économique en Europe et la baisse conséquente de la demande sur les marchés du Vieux continent. Toutes les conditions étaient donc favorables à la destruction de l'emploi. «Mais c'est au niveau structurel que le problème est plus profond», ajoute le directeur. Le constat est flagrant: le chômage des jeunes Tunisiens est plus grave que celui dans des pays similaires, notamment le Maroc. «Et le taux est plus élevé que celui en Algérie», renchérit l'expert. Cela n'était pas le cas deux ans en arrière. Cette problématique trouve ses origines dans les choix politiques qui, au départ, ont été bâtis sur de bonnes et moins bonnes intentions. Selon les bonnes, plus les gens sont formés et diplômés plus ils auront de possibilités à trouver du travail. Mais cette vision simpliste n'a mené qu'à la multiplication du nombre des détenteurs de diplômes sans se soucier de la qualité des formations. Selon Dr Soucat, les responsables devraient s'interroger : est-ce que les qualifications qu'on produit répondent à un besoin sur le marché de travail ? Est-ce qu'on favorise la création des entreprises ? Et d'illustrer : «On formait les diplômés en mathématiques comme si toutes les promotions travailleront en tant que professeur». Par ailleurs, on assiste à une explosion de nouveaux métiers dans le secteur financier. A titre indicatif, le marché du travail manque de profil d'actuaire. Or le détenteur d'un diplôme de mathématiques dispose de toutes les compétences pour réussir une telle carrière. «Toutefois, sa formation demeure inadéquate à ce métier et incomplète puisqu'il n'y a pas eu de passerelles entre son cursus de formation classique et d'autres formations en spécialité financière», explique le directeur. De plus, ces jeunes sont prédisposés à devenir des fonctionnaires. Outre ces bonnes intentions, «aujourd'hui on réalise que d'autres intentions sont aussi questionnables», reproche-t-elle. En effet, en matière de politique de chômage, plus on garde les gens dans les facultés, plus on est à l'abri du problème. «On sert de beaux diplômes et on récolte la paix sociale», explique-t-elle. Cela n'a fait que retarder le problème. Et cette recherche de stabilité sociale et politique a généré une bombe à retardement. «En effet, elle a explosé en 2011», rappelle-t-elle. Ces politiques et ces choix ont généré une forte inadéquation entre l'offre et la demande sur le marché du travail. En effet, il y a un écart entre le profil des jeunes et les demandes des entreprises. «De nos jours, les entreprises qui veulent recruter rencontrent d'énormes difficultés de sélection». Et ce qui manque énormément, ce sont les compétences intermédiaires, à savoir techniques au niveau de la formation professionnelle post secondaire et, d'autre part, des gens surformé qui n'acceptent pas les postes offerts ni leurs rémunérations. D'ailleurs, même si le tissu économique marchait normalement, on sera confronté à des problèmes quantitatifs et qualitatifs relatifs à la production du système d'éducation. Le système actuel n'encourage pas l'esprit critique et ne favorise pas l'approche de résolution des problèmes. Ce qui limite les capacités d'adaptation et d'assimilation des diplômés. «Avec la vitesse d'évolution des technologies, on ne peut prévoir ce que demanderont les emplois de demain. D'où, il est crucial que le diplômé ait cette qualité pour conserver son poste et même piloter sa carrière», explique-t-elle. De l'autre côté, le tissu économique a souffert de plusieurs distorsions qui ont alimenté la réticence des promoteurs. De même, elle recommande un nouveau découpage économique en vue de valoriser les potentialités des régions et de limiter les effets néfastes de la centralisation poussée de l'actuel système bureaucratique. «Il faut redessiner les régions dans un objectif autre que le contrôle politique pour mettre en place des mécanismes d'incitations dans les zones défavorisés», note le Dr Agnès Soucrat. Université ou enseignement technique ? «A ce problème épineux, il n'y a pas de recettes à appliquer», relève-t-elle. Pour rechercher les remèdes, il faut retourner aux racines du pourquoi, à savoir le système éducatif. Il est temps que ce système s'ouvre à l'entreprise. D'un autre côté, il faut changer la fatalité selon laquelle le travail dans la fonction publique est une continuité logique des études. Pour ce faire, il faut encourager l'entrepreneuriat. «C'est là où il y a une adaptation mentale des formés», souligne l'expert. Et d'ajouter: «Demain, c'est le monde de l'innovation et de ceux qui auront des idées». A cet égard, la jeunesse tunisienne paraît comme une force de frappe. «Ces jeunes sont un atout si une partie d'entre eux pourra devenir les entrepreneurs de demain» explique-t-elle. La richesse de la Tunisie réside, alors, en son capital humain. Mais, ce potentiel est tributaire de la qualité des formations et du degré d'ouverture sur l'extérieur. De plus, il faut multiplier les mécanismes d'accès au capital et à l'assistance technique et administrative. A cet égard, la BAD lancera, le 1er février, «Souk Al Tanmia», un mécanisme qui fait que les jeunes diplômés ou non qui ont des idées pour créer des entreprises et des emplois puissent avoir accès à du capital même quand les banques le refusent faute de garanties ou qu'ils n'ont pas accès aux mécanismes de microfinance. Pour résoudre toute la problématique, il faut répondre à la question: comment peut-on hisser cette jeunesse de l'attente d'un rêve d'un travail bureaucratique pour devenir un contributeur social ? «Aujourd'hui, beaucoup de monde se précipite vers la formation professionnelle comme si celle-ci était la réponse à tout. Mais c'est une réponse!» indique le responsable. Cependant, puisque la réponse d'aujourd'hui n'est pas celle de demain, toute approche doit revêtir de la flexibilité et de la capacité d'adaptation. «En effet, ça ne se joue pas sur une dualité entre université et enseignement technique mais plutôt sur une réforme de tout le système d'éducation et d'apprentissage. Avec des passerelles entre les formations et beaucoup de facilitation pour l'entreprenariat», explique le responsable. L'une des clés la réforme est d'ouvrir les cursus de formation à tout le public. Ainsi, l'éducation sera perçue comme un processus permanent d'acquisition des compétences en fonction des besoins du marché de travail. «Et c'est de plus en plus facile de le faire avec les Ntics!», rappelle-t-elle.