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«La justice transitionnelle transcende tout ce qui existe»
Entretien avec : Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle :
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 02 - 2012

• On a pratiqué la torture après le 14 janvier. On a tiré sur des gens dont certains sont morts. Il y a des faits que nous ignorons toujours et des dossiers encore ouverts, tel celui des snipers. Il y a aussi des affaires qui demeurent taboues, telles les affaires touchant l'institution militaire...
• Il s'agit d'un compromis et d'un règlement non point gouvernemental ou judiciaire, mais un compromis sociétal, d'une société qui se réconcilie avec son passé et inaugure une page nouvelle
• Nous essayerons de limiter au maximum le châtiment tout en élargissant au maximum les réparations et indemnisations. Le tout sans tomber pour autant dans l'impunité
• L'accusé en matière de justice transitionnelle n'est pas un sujet mais un partenaire
M. le ministre, j'ai décidé d'effectuer cette interview après avoir lu le décret du 19 janvier 2012 portant création et fixant les attributions du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle. Il m'a semblé que l'article 3 de ce décret est plutôt faible et imprécis. Il stipule que le ministère développe «un ensemble de choix en vue d'un traitement des atteintes aux droits de l'Homme dans le passé fondé sur la responsabilisation, les poursuites et la réconciliation en vertu des normes de la justice transitionnelle...». Contrairement à ce qu'il en est des droits de l'Homme dans le même décret, l'article 3 est vague. Pourquoi  ? Qu'en est-il au juste ?
En fait, il ne s'agit pas d'un texte faible. Les textes de loi portant création de ministères, surtout ayant les prérogatives du nôtre, sont parfois intentionnellement généralistes. Deux considérations y président. Le ministère s'occupe en premier lieu de droits de l'Homme et de l'administration de la justice transitionnelle. Quant à la justice transitionnelle proprement dite, elle n'a pas de précédent sous nos cieux. Et le propre des expériences sans précédent est de susciter autant les attentes et la ferveur que les peurs et les appréhensions. Parmi les dizaines d'expériences étrangères que nous avons consultées, il n'y a point de partie gouvernementale administrant la justice transitionnelle. Tout au plus, l'Etat lui prépare-t-il le cadre juridique, traduisant la volonté politique, ainsi que les aspects institutionnel, matériel et humain. En revanche, la société civile et les instances indépendantes supervisent la justice transitionnelle, ses processus et son devenir. Quant au volet des droits de l'Homme, l'Etat a toujours été perçu comme principal responsable des violations des droits de l'Homme. Il subit les pressions pour renoncer auxdites atteintes, y remédier ou poursuivre leurs auteurs. Que l'Etat s'empresse de traiter les atteintes aux droits de l'Homme, c'est une nouveauté. Raison pour laquelle nous avons délibérément opté pour que l'opération demeure ouverte. Nous savons en premier lieu que l'Assemblée constituante fixera, à travers un texte de loi, le statut proprement dit de la justice transitionnelle. On ne saurait anticiper sur ce chapitre. En second lieu, la société civile tunisienne est particulièrement jalouse de son indépendance et de sa décision souveraine. On n'a pas voulu la frustrer et on a décidé que la nécessaire consultation ne soit pas prématurément faussée.
Justement, on peut dénombrer, dans le monde, une trentaine d'expériences de justice transitionnelle. Cela s'étend de la Colombie au Timor, en passant par le Pérou, l'Afrique du Sud, le Ghana, le Maroc, l'Irak, l'Afghanistan et la Bosnie-Herzégovine. La loi tunisienne en la matière étant en voie d'élaboration, quelle est l'expérience dont vous vous inspirez le plus ?
Plusieurs expériences en vérité. Nous comptons travailler avec les promoteurs de l'expérience marocaine. Nous y comptons des amis. Nous envisageons même probablement des stages de formation pour nos fonctionnaires, moyennant le concours d'experts internationaux. En matière d'indemnisation, nous nous inspirerons peut-être plus de l'expérience péruvienne. Elle est réussie en matière d'indemnisation. L'expérience sud-africaine, en revanche, est aboutie en matière d'écoute mais n'est guère performante en matière d'indemnisation. L'indemnisation y atteint à peine les 10 %. Au Maroc, l'indemnisation frôle les 100 %. Nous comptons donc nous inspirer de plusieurs expériences sans pour autant copier intégralement aucune d'entre elles. A preuve, les propos du grand expert marocain Chawki Benyoub. Il a animé tout récemment dans nos murs une session de formation à laquelle ont pris part des magistrats, des notaires et des officiers de police, moi-même et des cadres du ministère. Il nous a dit : «Ce que vous avez fait, nous n'avons pas pu l'accomplir, à savoir avoir un interlocuteur officiel au gouvernement».
Tant que vous évoquez la question des indemnisations, il est admis qu'il ne saurait y avoir de réparation ni de réconciliation sans poursuites. Dans votre optique, les poursuites seront-elles toujours de mise ?
Il ne saurait y avoir de justice transitionnelle sans poursuites. Mais dans toutes les expériences internationales, la justice transitionnelle est un compromis. Autrement, on parle de justice tout court. Le compromis garantit deux principes : d'un côté, le dédommagement des préjudices matériels et moraux subis par les victimes, ce qui suppose au préalable la mise à jour de la vérité ; d'autre part, le refus de l'impunité, ce qui signifie les poursuites et la responsabilisation pour les actes commis.
Si j'ai bien compris, vous comptez, entre autres, adopter les principes de l'équité en lieu et place des stipulations légales en cas de consentement des parties.
Il y aura des procédures intermédiaires. Nous ne pouvons pas emprunter les mécanismes normaux qui prennent beaucoup de temps et génèrent des coûts élevés. Nous essayerons de limiter au maximum le châtiment tout en élargissant au maximum les réparations et indemnisations. Le tout sans tomber pour autant dans l'impunité. L'impunité équivaut à éluder le passé sur des bases injustes.
Le côté pénal sera donc opérationnel.
Il sera présent mais dans l'optique de la justice transitionnelle qui débute avec la révélation de la vérité et finit avec la réconciliation en passant par la culpabilisation.
Quel est l'ordre des priorités ? Il y a des tués, des blessés, des dossiers de corruption. Comment envisagez-vous les choses, sachant que l'Assemblée constituante est souveraine en la matière ?
J'ai mon avis là-dessus. Je me suis abstenu de le présenter jusqu'ici. Mais les échanges avec la société civile avancent en la matière et je peux en parler maintenant. Nous sommes pratiquement d'accord quant à la période que doit couvrir la justice transitionnelle. Elle dépassera les 23 dernières années. Nous comptons remonter jusqu'à la fondation de l'Etat de l'Indépendance. Certains proposent que cela couvre la période s'étalant entre la première Assemblée constituante, en 1956, et l'actuelle Assemblée constituante. Moi j'estime qu'on doit revenir un peu plus en arrière. Ce sont les grandes affaires qui nous interpellent. Celles qu'il faut écrire sur des bases objectives, et non point selon l'optique du vainqueur ou de celui qui gouverne. Dans le conflit yousséfiste, Bourguiba avait gagné et l'histoire avait été écrite sous le label de la fitna (discorde) yousséfiste et non point du différend yousséfiste-bourguibiste. Nous devons rouvrir les dossiers de manière à réhabiliter la vérité historique. Je sens la détresse de ceux qui viennent me dire : je n'ai pas besoin d'argent, je veux que les droits de mon père soient rétablis. La veuve de Lazhar Chraïti est venue me voir. Elle était assise là où vous êtes actuellement. Il y a eu aussi la famille de Salah Ben Youssef.
Les familles de Lazhar Chraïti et ses camarades ne savent même pas où ils ont été inhumés. On parle d'un charnier collectif à Bir Bouregba.
Oui, à l'instar des familles de toutes les personnes qui ont subi la peine capitale sur des bases pénales, et non seulement politiques. Il est du droit de leurs familles de se recueillir sur leurs tombes et réciter la Fatiha. C'est l'un de nos dossiers prioritaires. Parmi les spécificités de l'expérience tunisienne escomptée en matière de justice transitionnelle, il y aura des affaires non retenues ailleurs, telles que les affaires de corruption. Chaque expérience obéit aux spécificités de la réalité en fait. En Bosnie-Herzégovine par exemple, les affaires de viol comptent parmi le plus grand lot des affaires traitées par la justice transitionnelle. Ce qui n'est guère le cas en Tunisie. En revanche, chez nous, il y a eu de très grosses affaires de corruption. Le Tunisien souffre en constatant que les sommes considérables d'argent détourné peuvent subvenir à ses problèmes économiques.
Pour quand est prévu le projet de loi sur la justice transitionnelle ?
J'imagine bientôt, mais cela dépend du propre agenda de l'Assemblée.
Quelle sera la durée de la justice transitionnelle ?
Cela ne pourrait être préalablement fixé. Il y a des pays qui, au bout de vingt ans, n'ont pas pu accomplir pleinement la justice transitionnelle. Certaines choses peuvent toutefois être fixées, tels les comités d'écoute ou d'investigation.
Qu'en est-il du Centre international de la justice transitionnelle ou de l'interférence des juridictions internationales ? Il y a bien des gens qui instruisent des actions auprès des juridictions internationales telle la Cour pénale internationale de la Haye sur des faits survenus chez eux.
Nous avons déjà reçu le représentant du Centre international de la justice transitionnelle. Nos rapports sont soutenus. Quant à la justice pénale internationale, c'est l'une des problématiques posées, à l'instar de la justice pénale intérieure. Il y a un certain nombre de victimes qui ont saisi les tribunaux judiciaires, ou la justice administrative ou militaire. La problématique c'est de savoir comment faire opérer la justice transitionnelle en parallèle ou en coopération avec les juridictions normales, tout en prenant en compte le principe de la prescription des délais des crimes et délits. A preuve, le récent décret-loi sur les crimes de torture. Il y a aussi l'autorité de la chose jugée et les saisines antérieures de la justice dans les affaires en cours auprès des tribunaux judiciaires ou militaires. Je crois qu'il n'y a point de fixation de la justice transitionnelle. La justice transitionnelle transcende tout ce qui existe. Il s'agit d'un compromis et d'un règlement non point gouvernemental ou judiciaire, mais un compromis sociétal, d'une société qui se réconcilie avec son passé et inaugure une page nouvelle.
Comptez-vous composer avec les associations et la société civile ?
Oui, absolument, sans arrière-pensées ni calculs idéologiques ou partisans ou politiques. Nous avons reçu jusqu'ici les principales parties intéressées par la justice transitionnelle. Nous recevrons toutes les associations, de tendance islamiste ou de gauche, ainsi que l'Association tunisienne des femmes démocrates, l'Association de la femme tunisienne pour la recherche et le développement (Afturd), tous les centres, les académies, les instances de coordination, tous sans retenue ni appréhension.
Comptez-vous accepter les représentants des parties civiles dans le sillage de la justice transitionnelle  ? Ou ceux qui interfèrent par solidarité ?
En matière de justice transitionnelle, il n'y a pas de partie civile, il y a tout simplement des parties. Se constituer représentant des parties civiles est l'apanage des tribunaux judiciaires. Cela peut paraître paradoxal pour le citoyen, l'accusé en matière de justice transitionnelle n'est pas un sujet mais un partenaire. Lorsqu'il s'agit de rechercher les compromis et les règlements à l'amiable, en regard de l'intérêt national, l'accusé lui-même devient un partenaire. Il peut participer à la réconciliation avec le passé. Lorsqu'il reconnaît ses crimes, il participe à l'éradication de l'impunité et à la réécriture de l'histoire sur la base de la vérité, en nous faisant accéder à la vérité des faits. Ainsi pourrions-nous savoir que la torture ne procédait pas de bavures et d'abus individuels mais d'une politique suivie par le pouvoir. Si l'un des accusés peut nous prouver qu'il s'agissait d'une politique adoptée par le pouvoir, cela peut contribuer à la thérapie collective.
Vous dites que la justice transitionnelle transcende tout. Donc, elle n'implique pas que l'Etat. Il peut s'agir aussi d'individus ou de partis politiques coupables d'agressions et de crimes à l'encontre d'individus ou d'autres groupes.
Dans d'autres expériences, la justice transitionnelle ne survient pas uniquement au lendemain d'une révolution. Elle peut succéder à de grands événements ou à une guerre civile. Dans les guerres civiles, les grands abus ne procèdent pas uniquement des parties gouvernementales. Il peut s'agir de groupes armés, d'individus, de groupes ethniques ou de partis politiques.
Ainsi donc, quelqu'un peut se présenter et dire j'ai été victime de vitriolage de la part de partisans du mouvement Ennahdha, et il présente ses preuves, sa requête est-elle acceptée ?
Oui, cela se peut, mais à charge toutefois d'avoir des preuves et de savoir ce qui s'est réellement passé.
Comptez-vous coopérer avec la Fondation Temimi pour la recherche scientifique et l'information qui accomplit un travail important d'archivage de témoignages sur des faits cruciaux de notre histoire contemporaine, surtout depuis l'Indépendance ?
Nous comptons nous réunir avec les représentants de cette fondation très prochainement, ainsi qu'avec les responsables de l'Institut de l'histoire du mouvement national, les Archives nationales, les universités, les facultés, et toutes les instances pouvant nous aider.
Et l'instance médiatique ? Les journalistes ?
Les médias ont un rôle principal en la matière.
Est-ce que les truquages des élections seront considérés par les dynamiques de la justice transitionnelle ?
Je ne saurais vous répondre dans le détail. J'estime personnellement que toutes les pages noires ou grisâtres de notre passé doivent être remuées et traitées. Cependant, le champ d'application de la justice transitionnelle ne doit pas être fixé par le gouvernement ou le ministère. Il doit résulter d'un consensus. Si les compromis que nous escomptons ne sont pas fondés sur le consensus, toutes les peurs et appréhensions deviendront légitimes.
Jusqu'ici les seules personnes arrêtées ou poursuivies en justice concernant les événements de la Révolution portent sur des cas survenus entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011. Et il est bien évident que de nombreux martyrs sont tombés après le 14 janvier 2011. Vous avez toutefois évoqué des morts ordinaires d'infiltrés (moundassine) dans les rangs des martyrs, tel celui qui est mort lors d'une saoulerie. Mais il y a bien eu des morts dans les prisons après le 14 janvier, ainsi que des crimes commis à l'endroit des citoyens ultérieurement au 14 janvier 2011. Est-ce que la justice transitionnelle embrassera les tués et blessés après le 14 janvier 2011 ?
Sans aucun doute. Cependant, une précision s'impose et vous la connaissez certainement. Généralement, celui qui gouverne se penche sur les crimes de son prédécesseur. Il attend celui qui lui succédera pour être jugé à son tour.
Mais il y a bien eu des morts après le 14 janvier.
Oui et on a même pratiqué la torture après le 14 janvier. On a tiré sur des gens dont certains sont morts. Il y a également des faits que nous ignorons toujours et des dossiers encore ouverts, tel celui des snipers. Il y a aussi des affaires qui demeurent taboues, telles les affaires touchant l'institution militaire. On essaiera d'y remédier en conformité avec l'intérêt supérieur du pays.
Certaines expériences de justice transitionnelle englobent un compromis, voire une transaction avec l'institution sécuritaire, plus précisément le ministère de l'Intérieur. Qu'en est-il chez nous ?
J'estime que sans compromis, la justice transitionnelle est vide de sens. Mais la garantie de sa crédibilité, de sa transparence, de son impartialité et de son efficience découle du compromis de toute une société et non point d'un pouvoir établi et gouvernant. Si le compromis découle d'un pouvoir ou d'une alliance de partis au pouvoir, cela ouvre la voie à toutes les craintes et appréhensions, la partie délaissée ressentant un jour ou l'autre une transaction accomplie par-dessus sa tête et à ses dépens. La garantie de la transparence et du compromis de toute la société privilégie l'intérêt national aux dépens de tous les autres intérêts.
Que pensez-vous des listes noires que réclament des journalistes, des magistrats, des avocats ? Des listes que des syndicats, associations et structures professionnelles réclament et diligentent. Comment comptez-vous vous y prendre, sachant qu'il y a des personnes qui disent que pareilles listes doivent relever de la compétence judiciaire ou de la justice transitionnelle en coopération avec lesdites associations, les syndicats et les structures appropriées disposant de la crédibilité requise ?
Je vous réponds avec mes deux casquettes. En tant que responsable gouvernemental, j'estime que cette question doit être débattue. En tant qu'individu, je suis contre les listes noires parce qu'elles ouvrent la voie aux abus, aux règlements de comptes et surtout à la psychologie du maccarthysme, celle de la liquidation et de l'épuration.


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