Les monuments en péril, il y en a un nombre phénoménal en Tunisie. Si leur sort peut nous émouvoir, c'est dans la mesure où, d'une manière ou d'une autre, nous continuons à entretenir avec eux des liens affectifs ou de mémoire. Autant dire que ceux qui se trouvent hors des circuits fréquentés ont de fortes chances de n'émouvoir qu'un nombre restreint de personnes et, pour cette raison-là, peuvent être voués à une disparition pure et simple, disparition qui peut être accélérée par des actes de vandalisme. Mais lorsqu'un tel monument est juste sous notre nez... Aujourd'hui, j'aimerai tirer la sonnette d'alarme à propos d'un monument emblématique de la capitale (ou alors, l'horloge de Ben Ali lui aurait-elle ravi ce statut ?) : la Koubba du parc du Belvédère. Elle se situe, certes, loin des voies les plus fréquentées de ce parc, non loin du «Plateau» qui domine la capitale, mais elle n'en est pas moins gravée dans l'esprit de tous les Tunisois, soit après un contact direct soit pour avoir été vue sous toutes les coutures dans d'innombrables représentations. Voici ce qu'en dit le vénérable Guide Bleu : «La koubba, appelée aussi kiosque, a été vraisemblablement construite, au XVIIe siècle, dans un parc de la Manouba (il s'agit, en fait, du parc du palais dit Koubbet En-N'hâs où elle avait été érigée comme un îlot au milieu d'un vaste plan d'eau) et a été remontée en cet endroit en 1901. Cet élégant pavillon se compose d'une coupole côtelée sur trompes en demi-voûtes d'arêtes portant sur quatre colonnes et entourée de galeries complètement ouvertes sur trois côtés. Des arcades, soutenues par des colonnes jumelées reposant sur des banquettes de maçonnerie, font le tour de la pièce à l'exception du quatrième côté bordé par une salle en forme de T avec voûte en cul-de-four, présentant un arc outrepassé au clavage bichrome reposant sur des colonnes, dans l'axe médian. Les grandes baies et arcs sont en plein cintre, les petites sont trilobées. La partie la plus remarquable de cet édifice est sa décoration : les arcs et les voûtes sont en plâtre entièrement sculptés ou à claire-voie et garni de petits vitraux multicolores. Les murs sont ornés de céramiques tunisiennes. Le sol et les colonnes sont en marbre blanc». Du vent ! On aura retenu de cette description savante que ce monument est plus de trois fois séculaire, qu'il est d'une rare élégance et qu'il reflète le raffinement d'un art de vivre dans les milieux régnants en Tunisie des temps passés. Autant de raisons pour qu'il soit entouré des plus grands soins. Le parc naturel du Belvédère qui, juste avant la Révolution, avait été rétrogradé par le ministère de l'Environnement en parc urbain pour permettre aux prédateurs de le mettre en pièces pour se le répartir entre eux et y aménager des résidences de luxe, avait été, dès sa création en 1898, sérieusement gardé, l'accès n'y étant autorisé qu'à des heures ouvrables. La garde s'est progressivement relâchée depuis l'Indépendance et cela a ouvert les portes aux dépassements de toutes sortes. Et c'est peu dire qu'il est désormais ouvert aux quatre vents. C'est plus particulièrement vrai pour notre monument qui n'aura jamais aussi bien porté son appellation complète de Kobbet el-H'wa, littéralement la Coupole aérée ! Vandalisée par des visiteurs indélicats qui ont cherché à y graver le souvenir de leur passage pour l'éternité et qui, dans le même mouvement, ont détérioré quelques panneaux de stuc, la koubba a fait l'objet d'une première intervention pour restauration des dégâts à la fin des années 90. J'ai eu l'occasion de saluer l'initiative dans ces colonnes, appelant dans le même message à veiller à une meilleure protection de l'édifice. De retour sur ces lieux ces derniers jours, il m'a été donné de constater que les vandales avaient été de retour. En plus malfaisants encore. C'est que, depuis, les stylos à bille et même les feutres ont été doublés par les aérosols pour taggages ! Marbre blanc et céramiques ont été soumis à cet outrage tandis que des panneaux de stuc ont été défoncés à coups de pierre. De quoi vous donner la nausée. Des canettes de bière qui traînent dans les recoins vous donnent une idée sur l'usage qui est fait des lieux. Et maintenant ? On ne peut espérer grand'chose d'une mairie tutrice du parc et de ses composantes, mais dépourvue de moyens — même les plus ordinaires — et, pour tout dire, de légitimité en cette période de transition que d'aucun aimeraient voir se prolonger encore deux ou trois ans ! Se résigner à voir se dégrader irrémédiablement ce bijou sans bouger le petit doigt ? Si espoir il y a, on ne peut le placer aujourd'hui que dans une initiative citoyenne qui, en collaboration avec ce qui subsiste — en attendant de jours meilleurs — d'autorité publique, pourrait mobiliser des ressources humaines et même matérielles (mais si peu) pour sauver Kobbet el-H'wa.