Par Jawhar CHATTY Passe encore que le taux du déficit courant soit de 6.5% en 2012. Un tel niveau de déficit serait même toléré à la seule fin, toutefois, de stimuler l'investissement. Mais que le gouvernement entende contenir le taux d'inflation dans la limite de 3.8%, voilà qui dépasse tout entendement. A supposer que cette «limite» d'inflation soit respectée, ce qui est peu probable, l'objectif d'un taux de croissance de 3.5%, tel que fixé par le gouvernement pour 2012, reste fort peu conciliable avec un tel taux d'inflation. A moins de vouloir à ce point et à tout prix faire, faire et non créer de la croissance, le gouvernement et le pays risquent de se trouver, à brève échéance, confrontés à un sérieux risque de stagflation. Le pire scénario que puisse, en l'occurrence, connaître une économie. Si la déflation est encore plus dangereuse que l'inflation, entrainant une baisse de l'offre par rapport à la demande, une baisse que les pouvoirs publics peuvent toujours corriger et rattraper, il y va tout autrement pour la stagflation. Pour faire simple, la stagflation est une situation économique où la croissance reste faible et l'inflation élevée. Elle a en cela de pernicieux et d'inextricable le fait même de rendre la tâche des politiques monétaires particulièrement complexe. L'inflation devrait amener la Banque centrale de Tunisie à conduire une politique monétaire plus restrictive. Mais cela a toute chance d'avoir un impact négatif sur la croissance. Inversement, si la Banque centrale mène une politique monétaire expansionniste pour contrer le ralentissement de la croissance, cela peut alimenter l'inflation forte. En quelque sorte la BCT est placée dans la situation d'un conducteur automobile qui doit conduire avec un pied sur l'accélérateur et un pied sur le frein. La question qui, aujourd'hui, mérite d'être posée est de savoir quelle attitude va, à cet égard, prendre l'autorité monétaire et, surtout, de quelle marge de manœuvre dispose-t-elle par rapport au gouvernement ? De son côté, le gouvernement est-il disposé aujourd'hui à modérer ses promesses face à certaines revendications sociales? Est-il surtout disposé à être ferme et intransigeant avec, non seulement les activités de contrebandes mais aussi et sérieusement avec le secteur «légal» de l'exportation des produits frais et agroalimentaires tunisiens vers la Libye ? Chacun sait pourtant que ces «exportations» étouffent le marché national et alimentent l'inflation. Il ne faudrait tout de même pas arriver à ce stade où les Tunisiens pourraient crier haro au marché libyen ! En regard de la hausse sans précédent des prix à la consommation, et vu que cette tendance semble s'inscrire dans la durée, le choix, certes délicat et difficile, serait de tempérer les objectifs de croissance afin de mieux contenir et de maîtriser l'envolée inflationniste actuelle. Il n'y a aucun mal, bien au contraire, à devoir corriger ses prévisions de croissance; surtout quand celles-ci étaient fondées sur des soutiens financiers et des promesses d'investissement qui ne viennent toujours pas. Ce langage de vérité et de réalisme, ne pourra que grandir le gouvernement. Pour le peuple, pour les petites gens, ceux-là même qui avaient fondé tant d'espoirs sur la révolution, et pour cette classe moyenne, ciment de la stabilité sociale, le «couffin de la ménagère» a aujourd'hui bien plus d'importance que tous les discours sur les prévisions de croissance. Le risque de stagflation a au moins «ce mérite» de rappeler aux gouvernants que, s'ils sont là, c'est grâce aux gouvernés, et que les gouvernés veulent pouvoir manger mieux qu'à leur faim.