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Le 9 avril 1938
Les évènements des 8 et 9 avril 1938 tels que rapportés par Mahmoud El Materi dans ses mémoires
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 04 - 2012

Vers 9 heures, je reçus la visite de Tahar Sfar qui approuva entièrement mon intervention de la veille. A 10 heures, je reçus un coup de téléphone de M. René Laporte, membre du cabinet de M. Guillon pour me dire que celui-ci m'invitait à le voir d'urgence. Je n'avais pas vu M. Guillon depuis le mois de décembre. Je congédiai mes clients et me rendis sans retard à la Maison de France où je fus immédiatement introduit au cabinet du Résident. Il me reçut affectueusement comme à son habitude et me dit : «Voilà plus de quatre mois que nous ne nous sommes pas vus».
- «En effet, lui dis-je, mais je ne peux plus être d'aucune utilité, n'étant plus à la tête du Néo-Destour.»
- «Si, me répliqua t-il, vous pouvez encore être utile.
Avez-vous conservé de bons rapports personnels avec Bourguiba?»
- «Bien sûr, notre amitié qui date de notre enfance demeure inaltérable malgré notre désaccord sur la tactique de la politique à suivre.»
- «Eh bien alors, vous allez le trouver de ma part pour lui dire qu'il faut absolument qu'il soit mis fin à cette dangereuse agitation. Dites-lui surtout que si j'ai fermé l'œil sur les manifestations d'hier, je ne tolérerai plus aucune autre ni à Tunis ni ailleurs, et que j'irai même jusqu'à la proclamation de l'état de siège. Ce n'est pas moi qui ai rompu le contact avec le Destour, c'est le Destour qui a rompu le contact avec moi. Et pourtant, je suis encore prêt à recevoir Bourguiba, même aujourd'hui s'il veut. Il faut absolument qu'il fasse annuler toutes les manifestations prévues pour demain. Nous pourrions ainsi causer de nouveau. De même, les poursuites contre les militants seront arrêtées et ceux-ci remis en liberté. J'ai carte blanche de M. Sarraut pour prendre toute initiative susceptible de ramener le calme. Laissez-moi terminer en vous félicitant de votre action d'hier qui a certainement évité bien des malheurs ».
Je quittai M. Guillon plein de scepticisme sur l'efficacité de ma démarche auprès de Bourguiba. Bien que ne l'ayant pas vu depuis plusieurs semaines, je savais qu'il était dans un état d'exaltation extrême. Et puis, au point où en étaient arrivées les choses, lui serait-il matériellement et moralement possible d'annuler les manifestations projetées pour le 10 ?
Je fis quand même la tentative. Il était midi et demi quand j'arrivai chez Bourguiba. Madame Bourguiba qui m'ouvrit la porte, était un peu surprise de me voir arriver. Elle avait les traits tirés et la figure pâle. Elle me dit très bas dans le vestibule : «Docteur, je vous en supplie, faites tout votre possible pour le calmer. Il a bien une angine mais c'est surtout les nerfs qui sont malades chez lui. Je suis effrayée de ce qui se passe, je ne sais pas où il veut aller. Il faut qu'il pense un peu à sa femme et à son fils».
Je trouvai Bourguiba assis dans son lit en train d'écrire un article pour le prochain numéro de l'Action. Il ne s'attendait pas à ma visite, et l'accueil qu'il me réserva n'était pas aussi cordial que d'habitude. Nous nous serrâmes les mains sans effusion. Après m'être enquis de sa santé, j'allai droit au but et le mis au courant de la mission dont m'avait chargé M. Guillon auprès de lui, à savoir l'annulation de toutes les manifestations prévues et la reprise du contact entre la Résidence et le Parti.
- «Impossible, me répondit-il, je ne peux plus reculer et même si je le voulais, je n'aurais pas le temps de faire parvenir mes contre-ordres. Le sort en est jeté».
- «Mais tu ne vois donc pas les responsabilités que tu endosses, la répression qui sera poursuivie, toi-même probablement arrêté et inculpé ainsi que tous les militants restés encore libres, le Parti privé de ses dirigeants, le mouvement national décapité ? Crois-tu que la manifestation de demain se passera sans effusion de sang comme celle d'hier? Réfléchis bien. Tu as encore le temps d'agir par téléphone, par télégramme ou par d'autres moyens. Je t'en supplie.»
- «Je te dis que c'est impossible. Je sais ce que je dois faire.»
- «Mais le sang va couler, il y aura des victimes.»
- «Il faut bien que le sang coule, hurla-t-il, les yeux exorbités. Oui, il faut que le sang coule».
J'étais vraiment atterré.
- «Mais ce sera le sang des nôtres qui coulera: tu n'as pas vu hier les mitrailleuses et les fusils braqués sur les manifestants ?»
- «N'insistez pas Si Mahmoud, vous répondrez à M. Guillon que c'est trop tard et voilà tout. Laissez-moi terminer mon article ».
Nous nous quittâmes sans même nous serrer la main. Je sortis de chez lui plein d'inquiétude et de tristesse. Ces paroles terribles :
«Il faut que le sang coule» tintaient à mes oreilles. Je me rendis directement à mon cabinet (59). A 15h 30, je reçus un coup de téléphone de M. Lemaire. Je pensais qu'il me demandait la réponse de Bourguiba et je lui fis part de son refus en essayant de lui trouver des excuses. M. Lemaire me répondit aussitôt :
«Mais pour nous aussi c'est trop tard. Vous n'êtes pas au courant? Vous ne savez pas qu'il y a des troubles graves devant le Palais de Justice ? Le Général Hanote, le Commandant de la Gendarmerie et le Directeur de la Sûreté sont tous venus ici et le Résident Général va se rendre à La Marsa pour faire signer à Son Altesse le Bey le décret sur l'état de siège».
Quelques instants plus tard, je reçus la visite de Tahar Sfar.
- «C'est terrible, me dit-il, la police est déchaînée. Je ne m'attendais pas à cela pour aujourd'hui. Je ne sais pas quoi faire. Je vais immédiatement revoir Bourguiba à qui j'ai déjà rendu visite ce matin. Essayez de téléphoner au Résident».
- «Mais le Résident doit être maintenant à La Marsa pour faire sceller le décret sur l'état de siège».
Il me quitta brusquement, tout affolé. Quelques instants après son départ, j'entendis une rumeur de foule et des crépitements d'armes parvenir du côté de la place de la Kasbah. Des camionnettes de la police remontaient le Boulevard Bab Menara, remplies d'agents casqués et armés. La rumeur augmentait de plus en plus. Je vis la foule déferler devant mon cabinet, traquée par la police qui tirait des coups de feu dans le tas. Deux balles traversèrent les vitres de ma véranda où s'étaient réfugiés quelques passants dont Madame Claude Alin.
Je sortis de mon cabinet pour essayer de faire quelque chose.
Mais la mêlée était déjà fort engagée, les manifestants lançaient des pierres et des morceaux de grille sur le service d'ordre et celui-ci ripostait à coups de pistolet. Quelques blessés étaient sur le pavé mais personne ne s'en souciait. Je vis Mongi Slim en train de parlementer avec le capitaine de gendarmerie, probablement pour que le service d'ordre cessât de se servir de ses armes contre la foule. Les manifestants, refoulés hors des boulevards, ressortaient par d'autres rues adjacentes (la rue des Sacs, la rue des Femmes, la rue des Armes, la rue des Selliers, La rue El Marr). C'était une véritable journée d'émeute. La mêlée ne prit fin qu'à la tombée de la nuit. Traversant la Médina déserte, je me rendis au local du Parti, rue du Tribunal. J'y trouvais des jeunes gens, militants destouriens et autres, s'affairant autour de plusieurs blessés plus ou moins graves. Je fis transporter les plus gravement atteints à l'Hôpital Sadiki par des moyens de fortune (sur des bancs, sur des planches ou même sur des battants de porte). Après quoi, je me rendis moi-même à cet hôpital pour voir si je pouvais y être utile. Je pénétrai d'abord à la morgue où se trouvait déjà une quinzaine de morts ensanglantés. J'étais bouleversé par ce spectacle et écœuré par l'odeur fade du sang.
De là, je courus vers le service de chirurgie devant lequel de nombreux blessés, criant et geignant, étaient étendus sur des brancards, quelques uns à même le sol. Tout le personnel était déjà à l'œuvre. J'y trouvai le Dr Gabriel Brun en plein travail avec ses assistants et internes, les Dr Delastre, Rouchot, Dupienne... Et les auxiliaires médicaux Si Sadok Ben Ammar, Ali El Materi, Mongi Ben Khelil. Les deux salles d'opération fonctionnaient à plein et le Dr Brun se déplaçait de l'une à l'autre, opérant lui-même ou supervisant le travail de ses assistants. J'endossai à mon tour la blouse et avec le Dr Rouchot, je me mis à faire le triage des blessés dont l'afflux ne faisait qu'augmenter. Il fallait préparer à être opérés d'urgence ceux qui étaient le plus gravement atteints et envoyer les autres dans le service des pansements ou dans les salles pour être réexaminés le lendemain et éventuellement opérés plus tard. Nous travaillâmes ainsi jusqu'à quatre heures du matin. En sortant de la salle d'opération, le visage suintant de sueur, le Dr Brun me dit à brûle-pourpoint, en présence de tous ses collaborateurs français et tunisiens :
- «Qui est ce qui est responsable de tout cela, Dr Materi ?»
- «C'est la police.» lui répondis-je.
- «Mais non! Répliqua-t-il. C'est votre ami Bourguiba !»
- «C'est plutôt votre ami Carteron!», rétorquai-je vivement.
M. Carteron, délégué à la Résidence générale et Secrétaire général du Gouvernement tunisien était alors considéré comme un opposant irréductible à la politique libérale de M. Guillon et partisan convaincu de la manière forte, chère aux prépondérants.
J'étais vraiment affecté par cette réflexion du Dr Brun avec lequel j'avais toujours eu des rapports empreints d'estime et même d'affection réciproques.
Je rentrai chez moi à Saint-Germain, accablé d'émotion, écrasé de fatigue. Je fus arrêté deux fois par des patrouilles et fouillé malgré mes papiers établissant ma qualité de médecin, une fois à Bab Jedid et une deuxième fois au point de Bab Alioua, à la sortie de Tunis.
*(Extrait des mémoires de Mahmoud El Materi - Itinéraire d'un militant 1926-1942. Cérès Productions)


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