Conférences et débats, qui ont réuni des universitaires, des analystes, des femmes et des hommes de culture et de théâtre des deux rives, auront été durant ces deux journées sur les terrasses du Toursky, d'un haut niveau, d'une franchise et d'un courage à toute épreuve et que l'on ne décelait pas vraiment dans les sessions précédentes même si Richard Martin les encourageait. A Marseille, chez le bon peuple, on aime et on entretient les appellations de «Révolution du jasmin» et de «Printemps arabe». La Tunisie, bien sûr, est le pays le plus concerné ici à cause des nombreux Tunisiens qui y résident — dans le quartier de Mauron et aux alentours du théâtre Toursky notamment — et c'est lui qui a donné le «La» à tout ce chambardement, ce séisme historique qui va du Maghreb à la Syrie en passant par le Yémen, le Bahreïn et, peut-être demain, par l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe. Pour la plupart des intervenants présents à cette nouvelle session, le rôle du théâtre comme force créatrice et de renouvellement est salvateur : il faut construire, maintenant, un vrai projet théâtral et, pour cela, les efforts de tous les représentants des vingt-quatre pays associés à l'IITM seraient souhaitables pour faire avancer les choses. C'est en tous les cas, la remarque faite par Michel Tanner (Belgique) pour qui l'Ecole de Rabat ou d'autres lieux de la rive sud et Est n'ont jamais répondu. Effet de peur et d'auto-censure, termes «dégagés» chez nous, mais pas forcément chez nos voisins à entendre Ahmed Messaia, critique de théâtre marocain, présent à ce débat, et qui a préféré parler d'«acculturation» et de «comportements» plutôt que de dictature et d'intolérance. Et nous comprenons, du reste, cette attitude de précaution et de prévoyance qui fut d'ailleurs le lot des artistes et intellectuels tunisiens sous l'ère farouche du président déchu qui ne manquait pas de saper le moral de ceux qui osaient agir envers et contre lui. Présence du théâtre méditerranéen dans les pays des deux rives La seconde journée, celle du samedi 26 mai, aura été justement très suivie par les participants et un public très nombreux venu pour écouter les voix tunisiennes : celle de Fredj Chouchane, (auteur-animateur et scénariste) et de Raja Farhat (journaliste de Consul Thales Tunisia) et qui a animé et dirigé les débats avec une maîtrise et une éloquence qui ont charmé l'auditoire. Fredj Chouchane a proposé une enquête sur la présence du Théâtre méditereranéen dans les pays des deux rives. Comme préambule à cette enquête, il a décrit à travers cette Méditerranée «carrefour des civilisations, des régions et des cultures», comment depuis des décennies entières, se sont accumulés «les enfermements des mémoires, les excès des histoires nationales, les fanatismes» qui «continuent d'alimenter des préjugés où se mêlent intolérance, démagogie et mépris de l'Autre, jusqu'à la haine et l'hostilité». A cela, il a énuméré trois causes : l'ignorance, la méconnaissance de l'Autre, ainsi que les fausses représentations du passé et du présent d'autrui. Pour répondre à ces maux dans cette Méditerranée d'intérêts et de conflits de plus en plus violents, notre intervenant a suggéré qu'il était indispensable, d'abord, de se pencher sur certaines données véhiculées par l'éducation, la culture et les médias. C'est dans ce sens d'ailleurs que ce projet d'enquête proposé aux membres actifs de l'IITM présente une série de données qu'ils devront collecter dans leur propre pays pour avoir une estimation précise de ce qu'il s'y passe. Les étapes sont les suivantes : collecte des données locales, études approfondies et analyses critiques à élaborer par les chercheurs comparatistes, éducateurs, hommes de théâtre, formulation des recommandations et proposition des initiatives tendant à encourager la présence du théâtre méditerranéen dans les pays des deux rives. Cette enquête s'étend sur les trois dernières années. Sur le questionnaire, on décèle 5 axes (de la lettre A à E) autour des théâtres antique, classique et moderne : textes d'auteurs méditerranéens joués dans le pays; troupes du pays en tournée dans les pays méditerranéens; troupes méditerranéennes en tournée dans le pays; théâtres méditerranéens dans l'enseignement (l'Isad, pour la Tunisie); enfin, le théâtre méditerranéen dans les programmes et manuels de textes et de littérature des collèges et lycées. Cette conférence-débat pilotée par Fredj Chouchane, lui-même, a suscité beaucoup d'enthousiasme, mais aussi des questionnements quant à la nouvelle politique d'inspiration islamiste en Tunisie et ailleurs, et qui pourrait saper les fondements de la Démocratie, celle-la même dont nous parlions à propos de «Théâtre et Démocratie», un vaste programme de José Monleon depuis «L'Appel de Mérida». Les fleurs du Printemps arabe tiendront-elles leurs promesses? Oui, «les fleurs du Printemps arabe tiendront-elles les promesses faites, au lendemain du départ des derniers dictateurs?» C'est en ces termes que Raja Farhat, qui fut directeur du Festival international de Carthage en 79, directeur du Centre culturel de Hammamet (comme Fredj Chouchane), artiste-saltimbanque, revenant aujourd'hui, à ses amours premières sur les planches, à travers son one man show sur Bourguiba, s'est exprimé face à ce public méditerranéen. Son art de l'élocution, sa sincérité dans les propos, sa vision des choses de la politique internationale et, notamment, des révolutions arabes, ont subjugué l'assistance à plus d'un titre. Sa conférence «Printemps arabes : le temps des interrogations», qui a suscité beaucoup de questionnements grâce à l'importance de son discours par rapport aux événements plutôt douteux qui se produisent actuellement en Tunisie, aura été jusque dans le tard ou au spectacle -one man show de Fellag Petits chocs des civilisations —vous vous souvenez de Fellag à El Teatro, durant les années sombres en Algérie?— devenu en France bête de scène et star de l'humour—, devrait succéder le vernissage du peintre «visionnaire de la lumière», Claude Deporte, et vieux compagnon de Richard et dont l'urgence sera, à travers les technologies les plus récentes de l'audiovisuel, de relayer tous les partenaires de l'IITM, à partir du théâtre Toursky. L'intervention de Raja Farhat est un compte rendu détaillé, mais sobre, de l'enclenchement de la révolution du 14-Janvier 2011. «Partout dans ce nouveau Monde arabe, dit-il, Monde arabe longtemps baillonné par la censure et la police politique (...) se lève une immense clameur de liberté d'expression, de pluralisme et de revendications désordonnées». Et d'ajouter : «De Rabat en mouvement, à Tunis encore étonnée de sa propre audace, à Benghazi et Tripoli, débarrassées d'un long règne tragi-comique, à l'immense métropole du Caire, sur les réseaux sociaux d'Internet, une espérance démocratique fleurit et dément les doctes experts occidentaux qui théorisaient l'absolue surdité culturelle arabe à la démocratie». Pourtant, et depuis presque deux ans maintenant, «ce séisme arabe ne tarde pas à montrer ses doutes et ses repères incertains». Et Raja Farhat, énumérant les vastes programmes et promesses des nombreux partis, surgis comme champignons après la pluie; les historiens, les intellectuels et les médias analysant les origines de ces Printemps arabes, les signaux probants d'une stratégie globale élaborée par les décideurs américains; la naissance d'une constellation de frères musulmans, orphelins d'un califat perdu, l'héritage mental misérable des dictatures, etc, etc. L'orateur faisant une tournée générale des maux de la planète, des nouvelles stratégies militaires, de l'économie mondiale échaudée... L'Irak, l'Iran, Israël et les Palestiniens, la Syrie où l'on tue dans l'indifférence générale... Raja Farhat s'interroge encore : «Les arabes vont-ils se résoudre enfin à fonder des sociétés éthiques de droit et de culture où les femmes et les hommes, ensemble, se joindront à tous les peuples libres pour combattre la pauvreté, l'ignorance, les atteintes à la nature et les guerres tragiques qui opposent les pauvres... aux pauvres?» (A suivre)