Par Omar S'habou Depuis que Si Béji m'a appelé avec d'autres acteurs de la scène à réfléchir à une alternative qui puisse assurer l'équilibre politique du pays, ma conviction, forte, m'orientait vers la création d'un nouveau parti politique tant les conditions de son succès me paraissaient évidentes et grandes: un chef charismatique à l'incontestable légitimité, une assise populaire large issue de la majorité silencieuse et éventuellement des déçus des partis existants, des orientations idéologiques qu'il ne sera pas pénible de convertir en une plateforme doctrinale séduisante et convaincante en comparaison de la nébuleuse trichotomique de la Troïka et des moyens financiers qu'il ne sera pas difficile de réunir dès lors que le nouveau parti s'ébranlera. C'était ma conviction jusqu'à ce que le processus de maturation de ce qu'il sera convenu d'appeler «l'initiative BCE» enfante une option stratégique qui ne me convainc nullement. Celle de faire de Si Béji en personne le président statutaire du nouveau parti. De quelque côté que je tourne cette option, je n'y vois qu'aléas et inconvénients. La classe politique et l'opinion publique tunisiennes ont constaté depuis la déclaration fondatrice du 26 janvier sinon un rapprochement du moins une adhésion de toutes les familles politiques centristes que compte le pays à «l'initiative BCE», ce qui a immédiatement conféré à Si Béji un statut national et une couronne consensuelle qui dépassent largement le champ d'un parti politique, aussi populaire fût-il. Je me suis rendu compte, chemin faisant, que le rôle dont l'histoire est en train d'investir Caïd Essebsi ne saurait être limité à la présidence statutaire d'un nouveau parti qui viendrait s'additionner à d'autres, mais d'incarner une dimension plus large inclusive de toutes les familles politiques proches et dont Caïd Essebsi serait le fédérateur en même temps que l'irradiant symbole, et ce, d'autant plus que tous les leaders des familles centristes, sans exception, ont publiquement déclaré leur acceptation du leadership de Caïd Essebsi. Il m'a été depuis lors difficile de le voir ciblé, de par l'impitoyable loi de l'action politique, non seulement par ses adversaires naturels mais, éventuellement, par des partenaires proches politiquement mais concurrents électoralement. Je le vois en guide, en éclaireur et en un recours dont la parole serait décisive en cas de divergences et dont l'active présence serait garante d'une indispensable cohérence. Je me suis ouvert de cette façon de voir les choses à Si Béji, notamment au cours d'une réunion tripartite avec Ahmed Néjib Chebbi dont il me plaît de louer ici la sincère transcendance à sa légitime aspiration au leadership, mais Si Béji est resté ferme quant à sa décision d'être le président statutaire d'un nouveau parti. J'espère le plus sincèrement du monde qu'il aura raison et que j'aurais tort... Je suis ainsi fait depuis ma précoce entrée dans l'arène politique : je ne me complais pas dan le clair-obscur ni dans les demi-mesures et je ne peux convaincre les autres de ce dont je ne suis pas convaincu moi-même. J'ai donc fait part en premier lieu à Si Béji, avec foi et affection, de ma décision de quitter son initiative et je n'ai trouvé auprès de lui, comme d'habitude, que compréhension et nobles sentiments... Que vais-je faire en tant qu'acteur politique ? Je vais poursuivre ma contribution pour une société tunisienne fraternelle, réconciliée avec ses enfants sans exception et assumant son génie réformiste de l'Islam. Et le tout sans complaisance ni nuisance à l'égard de qui que ce soit ; ni à l'égard de Rached Ghannouchi, ni à l'égard de Béji Caïd Essebsi.