(suite et fin) Par Khaled Guezmir - On reproche beaucoup de choses à l'opposition, son élitisme en général, son endoctrinement aussi, que ce soit du côté des courants de gauche marxistes ou du côté des libéraux laïcisants et modernisateurs, mais là où le bât blesse le plus c'est au niveau de la mobilisation et de l'impact sur les réalités locales. En revenant au début du siècle dernier, le 20ème, la configuration des forces d'opposition au sein du protectorat français était similaire ou presque. Le mouvement « Jeunes Tunisiens » de Ali Bach Hamba et Abdelaziz Thaâlbi, était plutôt un phénomène élitiste et urbain, avec une présence active dans la capitale (Al Hadhira) et certaines grandes villes comme Sousse, Sfax, Bizerte et Kairouan. C'est le Néo-Destour qui a fait la double jonction avec la classe ouvrière à travers le leader-martyr Farhat Hached, dans les années 40, et avec la paysannerie de la Tunisie profonde du Nord au Sud à travers les résistants « fellaguas » dans les années 50. Le bond qualitatif était de taille et le mouvement de libération nationale était sur la voie royale, qui a mené à l'indépendance en 1956. Aujourd'hui, l'opposition se situe à l'étape élitiste avec une présence plus que discrète dans la périphérie populaire urbaine et ouvrière ou chez les sans-emplois et encore plus discrète dans le monde rural et spécialement dans les zones Ouest du Nord au Sud. A part quelques notabilités dans certains partis centristes le reste c'est pratiquement du désert ! L'opposition au nouveau pouvoir dominant, forte par l'islamisme populaire, ne peut, dans l'état actuel des choses, peser de manière décisive pour espérer une alternance possible dans les mois qui viennent. Que dire, quand cette même opposition est laminée de toutes parts, par les dissensions internes et les ambitions personnelles de « leaders » « surévalués » par une présence médiatique active, mais peu efficace au niveau de la représentativité sur le terrain. Même les dernières tentatives de polarisation de certaines familles idéologiques, allant de la gauche traditionnelle modérée et pragmatique (Attajdid) à la droite centriste et libérale (Afek-Tounès) en passant par la social-démocratie du PDP de Néjib Chebbi et Maya Jeribi, ne semblent pas rouler en vitesse de croisière mais avec beaucoup de prudence pour ne pas dire d'hésitation. Les velléités d'attachement aux leaderships personnels ne sont pas étrangères à cette situation de semi-blocage du processus unitariste en attendant de voir plus clair ! Seulement la « clarté » passe par la douleur et le « sacrifice » nécessaire de certaines troupes ou cadres récalcitrants qui n'acceptent pas de fondre dans le moule du Parti Républicain ou autre. Il va falloir opter pour la chirurgie mais aussi vers d'autres « greffes » indispensables. Une première hypothèse se ferait autour de la « Moubadara » (initiative) de M. Béji Caïd Essebsi et là on n'a pas le choix : Ou, c'est un méga-parti centriste socialo-démocrate et libéral qui engloberait les pôles d'Attajdid, du Parti Républicain et des destouriens-bourguibiens (et non les Rcédistes de Ben Ali) avec pour la locomotive « Si El Béji » et les états majors des partis restants, ou encore une fois c'est le désert … ! Nous l'avons vu à Monastir où la mobilisation a été intense non pas autour des Kamel Morjane et autres leaders centristes, mais bel et bien autour de l'invité charismatique et rassembleur M. Béji Caïd Essebsi. La deuxième hypothèse c'est un regroupement autour de M. Moncef Marzouki, dont la popularité est en hausse. Mais, là, il va falloir que le Président intérimaire se décide à revenir à sa famille naturelle : La social-démocratie modernisatrice et respectueuse de l'identité arabo-musulmane. En quelque sorte, une synthèse réconciliatrice de Bourguiba-Thaâlbi et Ben Youssef. Ce qui serait génial… n'est-ce pas ! Ce rôle peut lui aller comme un gant mais il doit courir le risque de se « séparer » d'Ennahdha. En tout cas, Marzouki est loin de la plus grande percée de cette transition surtout en proximité avec les classes populaires et les classes moyennes, la jeunesse et même son faux-pas sur la liberté de la presse, à Qatar, il semble bien avoir compris la leçon ! La troisième hypothèse envisageable au moins sur le papier, c'est une alliance Caïd Essebsi-Ennahdha ! Grotesque pour certains, mais en politique tout est possible quand les rapports de force et les intérêts des uns et des autres se croisent. De ce point de vue, rien n'empêche, au moins, d'y penser. Avant la « grande discorde » et les fléchettes des conseillers à l'encontre de Si El Béji (décidément, ces Messieurs devraient changer de registre), les relations de l'ancien ministre de Bourguiba et les leaders historiques d'Ennahdha étaient plutôt bonnes. Si Béji a joué le jeu et, en bon gentleman, il a remis les clefs du gouvernement aux nouveaux « locataires » et même dans son initiative il n'excluait pas le rôle important d'Ennahdha. De l'autre côté, MM. Rached Ghannouchi et Hamadi Jebali ne tarissaient pas d'éloges en direction de l'ancien Premier ministre intérimaire, alors qu'ils ne disaient pas mot de son prédécesseur M. Ghanouchi. Si Béji peut faire bénéficier Ennahdha de son expérience politique, diplomatique et de gestion et surtout de sa crédibilité au niveau populaire et international. Quant au mouvement islamiste, il peut opérer un replâtrage des brisures provoquées par le mauvais traitement de la presse et des élites universitaires, académiques et artistiques. Là encore, nous pouvons aller vers une bonne synthèse réparatrice entre l'islamisme et la modernisation, entre les Nahdhaouis modérés et les « bons » destouriens, ceux qui ont, eux-mêmes, été écartés par la dictature et qui n'ont jamais tremper dans la corruption ! Ces combinaisons politiciennes ne doivent pas être perçues et jugées comme des techniques de « récupération » mais comme des alliances possibles dans une société démocratique nouvelle, au service de la paix sociale et de l'intérêt supérieur de la nation ! Tous les pays du monde le font. N'a-t-on pas vu une première alliance entre Mme Merkel (libérale chrétienne) et le S.P.D (socialiste) de M. Schroeder, en Allemagne. Quant à l'histoire ancienne et médiévale elle pullule de ces alliances « stratégiques » entre les Nations, les Rois et les présidents les plus opposés et les plus contradictoires. Relisez « Les croisades vues par les Arabes » de Amine Maâlouf et vous verrez les alliances entre Salah-Eddine et les croisés « Roum » (Chrétiens) de Richard cœur de Lion. Et dire que nous sommes tous musulmans, mais chacun à sa manière !