Par Khaled TEBOURBI Des élus et des ministres, jeudi soir, à l'ouverture du festival de Carthage. Le président de la Constituante, M. Mustapha Ben Jaâfar y compris, ce qui achevait de faire beau monde. Et sans le cérémonial «panique» des premières chaises, nos honorables représentants ont choisi de s'installer sur le devant des gradins presque à même la foule, sans la proximité du service d'ordre, avec pour unique «privilège» un tapis, la pierre est dure, on leur devait au moins cela. Du beau monde, une quasi absence de protocole, et de la décontraction. Voire, sur ce que l'on a pu observer, une soirée durant, tous paraissaient être heureux d'être là, ravis, sinon surpris pour certains, d'assister à un concert tunisien d'un tel succès, d'une telle qualité surtout. On en a même surpris qui se sont joints à l'euphorie générale, accompagnant les chanteurs de la voix et des mains. M. Mehdi Mabrouk, par exemple, que l'on savait pourtant un peu dubitatif sur la participation des artistes locaux. Rendues à elles-mêmes Ce concert inaugural aura finalement dissipé bien des doutes au sujet de la musique et de la chanson tunisiennes. Des doutes entretenus, dès après la révolution, par quelques «recalés» de l'ère ancienne, et qui avaient fini par influencer les décideurs, autant que les médias et l'opinion. On se souvient, notamment, de la cabale montée contre les Bouchnaq, Ziad Gharsa, Amina Fakhet, Sonia M'barek et autres, curieusement les meilleurs, au prétexte «d'allégeance» au régime déchu. Pendant près d'une année, «fomenteurs» et «bras cassés» en avaient tiré, plus ou moins, avantage. Pour s'effilocher, Dieu merci, avec le temps. Mais si la musique et la chanson tunisiennes ont été rendues à elles-mêmes, si elles ont pu vaincre les préjugés et les idées reçues qui n'ont eu de cesse que de se mettre en travers de leur chemin depuis des mois, cela ne l'aura été, vraiment, croyons-nous, que ce jeudi 5 juillet sur la scène du théâtre romain. Ce fut comme l'ultime estocade portée à «la conspiratin» des médiocres, des malveillants et autres «suspicieux». Avec, d'abord, cet impressionnant rassemblement de voix et de solistes émérites, venus, sans contrepartie aucune, contribuer au premier grand concert de l'après-révolution. Le beau symbole que c'était : chanter en commun pour incarner l'unité du pays. Avec ces musiques et ces chants, ensuite. De vrais morceaux de bravoure. Pourquoi finasser sur les techniques et les contenus, à l'écoute simple on percevait le haut niveau. Avec, enfin, cette superbe revue finale des générations. Artistes d'aujourd'hui parrainant les artistes de demain et tous deux s'inclinant respectueusement devant leurs aînés. La Tunisie historique «scellée» et «cimentée» pour toujours. Par-delà ses différences et ses différends, par-delà les âges, par-delà les péripéties. Des couleurs de cachets ont eu cette pensée Messieurs, des «awadjias», des «arabnia» comme vous aimez les nommer souvent et sans que personne, pas même nos élites, ne les y aient invités ! Autres fausses vérités On voit, bien sûr, venir la riposte: «L'arbre ne cache pas la forêt». Ce concert d'ouverture de Carthage n'était peut-être qu'un «succès de passage». Pour le reste, dira-t-on, notre musique et notre chanson demeurent à la traîne de la musique et de la chanson arabes, nos chanteurs, pris un à un, ne remplissent toujours pas des théâtres. Encore un préjugé, encore une idée reçue «assenée» comme une vérité. De quelle «traîne» parle-t-on d'abord? De «la traîne médiatique»? Est-ce le critère absolu de la réussite en art? Est-ce un obstacle impossible à franchir? Il suffit à nos médiateurs, à nos éditeurs, à nos producteurs et à nos diffuseurs de vouloir donner à notre musique et à notre chanson l'audience qui leur est justement due, pour qu'elles parviennent, non seulement à polariser l'attention de leur propre public mais encore à dominer hors de leurs frontières. Regardons-y bien enfin : n'en ont-elles pas les compétences, des talents, la tradition? D'où vient, ensuite, cette «idée» que nos chanteurs sont «condamnés» à se produire devant des salles vides? Est-ce le cas de Lotfi Bouchnaq, de Sabeur Rebaï, de Amina Fakhet? Etait-ce le cas des regrettées Oulaya et Dhikra Mohamed? Est-ce vraiment le cas de Ziad Gharsa, de Sonia M'barek, de Hassen Dahmani. Ceux-là, que l'on sache, ont drainé et drainent encore des milliers de spectateurs, ici comme ailleurs. Et sur quoi se base-t-on pour affirmer que nos autres jeunes nouvelles voix n'auront pas la même réussite populaire? Leur a-t-on réellement donné leur chance? Leur fait-on assez de publicité? Encourage-t-on vraiment leurs tentatives? Estime-t-on leurs travaux et leurs expériences à leur juste valeur? Les protège-t-on comme il se doit de la concurrence des pseudo-stars du Machrêq? Quatre concerts tunisiens suivront d'ici à la clôture du Festival de Carthage. A part Sabeur Rebaï, ce seront des affiches moins connues. Faisons le nécessaire pour les présenter, les ébruiter, pour les défendre car c'est ce qui leur a manqué le plus jusqu'ici. On tirera les bonnes conclusions après.