Par Moadh DJELLOULI Il faut reconnaître que la Tunisie n'a jamais connu ni le régime présidentiel ni le régime parlementaire. Pourquoi, dès le départ, craindre et rejeter le régime présidentiel ? Après la chute de la monarchie, le pays a vécu sous deux dictatures: la première, une dictature éclairée, dirigée d'une main de fer par Bourguiba. La deuxième, une dictature brutale et oligarchique, dirigée par Ben Ali. Toutes les élections qui se sont produites durant les deux règnes étaient simplement des plébiscites. On a tort de dire que le régime «présidentiel» a glissé vers l'autoritarisme. Il n'avait de présidentiel que le nom. En 1957, Bourguiba était désigné par la Constituante, donc issu d'un parlement et élu par les députés, il était appelé à être un président d'un régime parlementaire. Mais Bourguiba a imposé son autorité partout sans jamais consulter le peuple. Ben Ali, plus cynique, jouant au démocrate, et s'appuyant sur l'opposition de sa majesté et sa smala, vidait le pays de son jus. Le 23 octobre 2011, le peuple, guéri du progeria(1), est devenu majeur. Il a élu librement un Assemblée nationale constituante pour une durée d'un an ayant pour tâche essentielle de former un gouvernement provisoire qui gérera les affaires courantes et rédigera une future constitution pour le pays. Or, depuis neuf mois, rien de positif ne se profile à l'horizon. Au contraire, on assiste à une ANC qui se noie dans des débats byzantins et cacophoniques sur le régime à choisir. On a même vu «Madame Soleil» prédire que le prochain président du pays sera nahdhaoui. Si ça continue, tout finira — que Dieu nous garde — comme l'âne de Buridan qui, affamé et assoiffé, meurt de faim et de soif parce qu'il n'a pas su choisir entre le foin et l'eau. La situation est très simple, il suffit de bien analyser les deux systèmes et on découvrira qu'un régime parlementaire n'est pas plus démocratique qu'un régime présidentiel et vice versa. La véritable démocratie c'est le respect sacral de la constitution et des lois fondamentales telles que la liberté totale de la presse, l'autonomie de la justice, les libertés individuelles. Le fond est une question d'honnêteté envers ces principes, l'acceptation de l'alternance et la reconnaissance du verdict populaire. Aucun système quel qu'il soit ne peut épargner la glissade vers l'autoritarisme sans le respect de ces règles fondamentales. L'essentiel est de choisir le régime qui sied bien au Tunisien et qui perdure. Ceux qui proposent et insistent, surtout Ennahdha, d'emprunter le régime parlementaire, connaissent mal le Tunisien, ses caractéristiques et la mouvance historique dans laquelle il a vécu. Le Tunisien est un méditerranéen, il est très sensible : autant il est doux, affectif autant il est impulsif. Seul un chef dont il a confiance peut calmer et stimuler ses ardeurs. Il est africain, il croit au chef, au marabout, il a culte de la personnalité. Le mot «maâllem» (patron) revient souvent dans notre langage populaire. Il apprécie d'être conseillé et dirigé par un patron. La civilisation arabe est bien ancrée chez le Tunisien, il a tout le temps vécu sous l'autorité d'un prince qu'on appelle selon les époques Emir, Sultan, Roi, Dey, Bey, etc. Souvent apathique, le patron aiguillonne son ardeur. Il est maghrébin, il n'a jamais connu la démocratie ni le rôle prépondérant d'un parlement et le système de coalition. Il suffit aujourd'hui de regarder le paysage désolant de notre ANC et les sautes d'humeur du président Marzouki pour imaginer ce que sera demain. «Un Etat trop faible comme un Etat trop fort génère l'intolérance». Hitler est le pur produit du régime parlementaire, il a créé la plus ignoble des dictatures. Aujourd'hui, Poutine et Medvedev jouent tous les deux à Colin-Maillard et se moquent et des Russes et du monde. Donc, les garde-fous n'existent pas, comme le régime idéal non plus. Dans toute son existence, le Tunisien s'est habitué à avoir devant lui un responsable, un vrai dirigeant à qui il demandera des comptes et non un groupe d'hommes ou une coalition insaisissable avec un Premier ministre qui se perdra dans les méandres des ententes. Attention, la dictature du groupe est pire que la dictature d'un individu. Même au niveau des élites, rares sont ceux qui acceptent de jouer à la reine Elizabeth. Regardez Marzouki, comme il s'agite; de peu, il rivalisera avec le roi Ubu. Imaginez ce que sera demain avec un Belgacem... Ce n'est pas parce qu'un système réussit bien chez les Anglo-Saxons et chez quelques Européens qu'il réussira chez nous. Les Anglais n'ont même pas de Constitution écrite et ça marche à merveille. En Tunisie, il faut nous éviter le régime parlementaire et ses subtilités sinon on aura tous les six mois une crise ministérielle. Edgar Faure, président du Conseil de la IVe République, définissait le régime parlementaire ainsi: «Litanie, liturgie, léthargie». Donc, il suffit de fixer clairement les règles du régime présidentiel et le Tunisien se retrouvera dans son élément. Messieurs les députés, épargnez le pays de plonger dans le brouillard. Soyez réalistes et n'agissez pas à contre-courant. On vous accusera demain d'avoir ignoré le courant. Donnez-nous le maximum de démocratie dans le maximum de tradition. –––––––––––––––– (1) Progeria : maladie qui transforme un enfant en vieillard