Par Khaled TEBOURBI Au repos nos artistes, après la longue séquence festivalière ? Pas tous. Pas tout à fait. Des plasticiens, par exemple, ont maille à partir avec la justice. On leur fait procès des tableaux exposés au «Printemps des Arts» d'El Abdellia. Evidemment, le gouvernement dit «qu'il n'y est pour rien». Le ministère de la Culture s'est empressé de le «souligner» dans un récent communiqué officiel. La plainte émane, vraisemblablement, d'une association islamique de la société civile, et de deux ou trois avocats, «à titre personnel». Il en est ainsi depuis quelques mois. Quand des artistes, des journalistes, des intellectuels ou des opposants sont pris pour cibles, ce sont toujours des «mains étrangères» qui «se chargent du boulot». A Sfax, il y a une semaine, un meeting des femmes de «Nidaâ Tounès», principal concurrent d'Ennahdha aux futures élections, a été violemment interrompu par des miliciens débarqués par voitures groupées. «Expédition punitive», agressions et blessées graves. La seule explication fournie est revenue au responsable local de «la ligue de défense de la révolution». Pour lui, ce n'était «qu'une altercation entre citoyens». Qu'était-ce, d'abord, que cette «ligue de défense de la révolution» ? On la voit opérer partout, mais les autorités ne nous expliquent pas encore si elle a ou non un statut légal. Pourquoi, ensuite, cette attaque précise et à ce moment précis, perpétrée par une bande «d'inconnus» visiblement hostiles, parfaitement organisés, libres, par ailleurs, de leurs mouvements, puisque la police n'avait cru bon d'intervenir qu'une fois qu'ils eurent quitté les lieux ? Et les cas similaires abondent. Le 9 avril dernier, il y avait des «civils louches» qui participaient à la matraque des manifestants. Identifiés, jamais poursuivis. Les salafistes, eux, courent toujours. Que de dégâts, pourtant, ils auront laissé sur leurs passages. Ne parlons pas du sit-in campé devant la télévision nationale. Pour les leaders nahdhaouis, pour le ministre conseiller, M. Lotfi Zitoun, c'était «le peuple qui se rebellait spontanément contre les médias novembristes». Ni de l'inculpation de Ayoub Messaoudi, «elle n'était pas le fait de la présidence de la République», juste «un recours de l'administration militaire». Ni, encore, de l'arrestation de Sami El Fehri, «aucun rapport avec les guignols d'Ettounsia», précisent messieurs Bhiri, Ghannouchi et Ameur Laâraïedh, mais «un acte relevant de la seule justice transitionnelle indépendante». Attaquer sans y toucher Aucun lien, jamais de liens avec le gouvernement, ni avec sa majorité, encore moins avec le mouvement Ennahdha. Le procès fait aux peintres d'El Abdellia est de cette mouture-là. Il survient dans «le sillage» d'une cabale montée de toutes pièces à partir de «Facebook». Diffusion d'une peinture dite «sacrilège» exposée à Dakar, mais imputée directement au «printemps des arts» de La Marsa; des salafistes avaient aussitôt pointé du nez, escortés, comme par hasard, par les représentants d'une association islamique, d'avocats (les futurs plaignants, sans doute) et d'un huissier notaire, au passé trouble, qui finira par reconnaître d'avoir «agi sur commande». Injonction de retirer les tableaux, le matin, menacés et casse, le soir., avant que trois ministres ne prennent le relais, pour excuser presque les coupables et réprouver les victimes. De leur côté, les élus de la majorité ne se privaient pas de mettre de l'huile sur le feu : «On avait porté atteinte aux symboles de l'Islam, haro sur les impies!». Les régions s'enflammaient pendant ce temps, le pays était mis sens dessus dessous. Jusqu'à la découverte du «pot au rose». Jusqu'à ce que «l'intox» fût trahie. Rétraction alors. Mais «en douce», «à la dérobée». Plus de discours offusqués, plus de vociférations dans les rangées de la Troïka, plus d'agitations, dans les régions la cabale avait tourné court. Il fallait «sauver la face», sans pour autant se résigner à lâcher prise. C'eût été renoncer à l'objectif principal de l'opération : discréditer les arts et trouver motif à neutraliser la liberté de création. Pour cela, il restait les plaintes de l'association islamique et des avocats «indépendants». Nul, dans le giron du pouvoir, n'avait jugé utile de conseiller à leurs auteurs d'avoir la décence de les retirer . «L'aubaine», un peu comme dans l'affaire «Nessma» : On confie «sa cible» aux juges sans prendre le risque d'y toucher. «Plan B» Le procès des tableaux d'El Abdellia intervient dans ces conditions. Une sorte de «plan B». Même «combiné», autre «méthode». Et le résultat, sur ce qu'on nous rapporte des premières audiences, a des chances de ne pas être différent. Les magistrats font pression sur «les inculpés», en leur «intimant» de justifier tel ou tel détail de leurs œuvres, «qu'entendiez vous par ceci ? Qu'entendiez vous par cela? Et tout, apparemment, est apprécié et jugé à l'aulne des «prescriptions religieuses», et de la «conformité aux bonnes mœurs». Nessma» fut un précédent. Un second se prépare. De plaintes «particulières», en procès «orientés», de verdicts «isolés», en jurisprudences «cumulées», la question des arts sera bientôt «réglée» à coups de lois. N'est-ce pas ce qui est visé depuis le début ?