Une conférence nationale sur la violence s'est tenue, hier, au siège du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle. A l'ouverture des travaux de cette conférence, M. Mehdi Mabrouk, ministre de la Culture, a fait remarquer que la violence est un fléau de plus en plus présent dans tous les secteurs, y compris le domaine culturel. Le ministre a, ensuite, affirmé que son ministère n'a pas été à l'abri des conséquences néfastes de ce phénomène social qui ne fait qu'empoisonner les relations humaines et affecter le progrès de la nation et la création culturelle. «La violence verbale et physique perpétrée graduellement dans le pays par des groupes cherchant à s'approprier les espaces publics n'a pas touché uniquement certains artistes et hommes de culture, elle nous a également contraints à annuler 11 manifestations culturelles. D'où la nécessité de repenser nos démarches juridiques et pédagogiques», a déclaré M.Mabrouk avant d'ajouter qu'il est devenu nécessaire de constitutionnaliser les droits culturels et d'adopter une démarche prospective en se servant des moyens pédagogiques appropriés afin de lutter contre ce fléau destructeur. Mme Sihem Ben Sedrine, présidente du Conseil national pour les libertés, a, pour sa part, pointé du doigt l'impunité dans laquelle ont agi les groupes impliqués dans les actes de violence enregistrés depuis la révolution du 14 octobre. Dans ce sens, elle a ajouté que ces groupes ont à maintes reprises porté atteinte aux principales institutions de l'Etat sans jamais être poursuivis en justice. «Aujourd'hui qu'ils ciblent des délégations et des institutions diplomatiques, cela n'est pas surprenant du fait du laxisme des autorités concernées à leur égard», a-t-elle argué. La même intervenante a, en outre, mis l'accent sur l'absence de réforme structurelle au sein de l'institution sécuritaire où l'on s'est contenté de quelques nouvelles nominations visant à «jeter de la poudre aux yeux». Pour elle, l'appareil sécuritaire aurait une part de responsabilité dans la tournure dramatique des manifestations devant l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique. «La veille de l'incident, j'ai remarqué des mouvements suspects à Bouselsla, des groupes en train de se préparer pour quelque chose. Comment se fait-il que notre appareil sécuritaire n'agisse pas au moment opportun pour dissuader ces groupes de leur forfait ? Cela prouve, sans aucun doute, notre incapacité à sécuriser notre pays et à maintenir sa stabilité. Nous avons des compétences mal placées et gauchement exploitées. Aujourd'hui, il est plus que jamais utile de les repositionner, de réformer et de repenser en profondeur notre appareil sécuritaire. Car sans ce pilier de l'Etat, si Etat il y a, l'on risque de tout perdre», a-t-elle fait observer. La pédagogie pour mieux éclairer Dans la même perspective, M. Abdessatar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (Ltdh), s'est attardé sur la violence et l'excès de zèle pratiqués à l'égard des manifestants, adressant des reproches à l'institution sécuritaire. «La loi de 1969 a bien précisé comment gérer les manifestations, et ce, d'une manière graduelle. L'on commence par l'avertissement verbal, puis le recours aux jets d'eau avant de passer à l'usage des bombes lacrymogènes dans une étape précédant les cartouches en plastique, et dans une phase finale, celles réelles après sommations d'usage bien évidemment. Or, dans le cas d'avant-hier devant l'ambassade américaine, on est passé directement aux gaz lacrymogènes. Ce qui aurait tout d'un coup envenimé la situation. Cela donne à lire, par conséquent, que l'absence de stratégie d'exercice chez les agents des forces de l'ordre n'a fait qu'aggraver le mal. Mais comment veut-on qu'ils aient une quelconque stratégie alors que la plupart d'entre eux sont de nouvelles recrues ignorant les lois relatives à la gestion des manifestations. Ces agents engagés directement dans le contrôle et la gestion des manifestations n'ont pas reçu de formation. Inutile donc d'en parler plus, car le drame d'hier (vendredi) en est la conséquence», a détaillé M. Ben Moussa, souligant que certains amendements du Code des procédures civiles et pénales s'avèrent aujourd'hui très utiles. S'agissant de la violence dans le secteur médiatique, la présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens a noté que la presse jaune sui s'est épanouie après la révolution de la liberté et de la dignité, a nourri bien des tensions entre les divers acteurs politiques et sociaux par le biais d'un discours démesuré qui puise dans la supercherie. «Ces organes de presse ne respectent pas la déontologie professionnelle et cherchent le gain rapide aux dépens de l'intérêt supérieur de la patrie. On n'a qu'à les sensibiliser à la nécessité de produire un discours médiatique qui a pour mots d'ordre la mesure et le respect de l'autre et de la déontologie. Un discours constructif et non destructeur», a-t-elle renchéri. Cheikh Béchir Belhassan, quiétiste modéré, a rappelé que l'Islam et le Coran dénoncent la violence et appellent à la tolérance et au respect de l'autre indépendamment de sa religion, de sa langue et de sa race. Sur la même lancée, il a indiqué que les jeunes qui ont manifesté en réaction au film blasphématoire à l'encontre du Prophète de l'Islam, n'auraient pas eu tort s'ils avaient adopté la mesure et écouté la voix de la raison dans leur action. «Ces jeunes se sont soulevés au nom de leur attachement à leur religion. De ce point de vue, ils avaient assurément raison. Ils avaient cependant tort en se livrant à des actes de violence. A l'origine du mal, une incompréhension et une lecture plate du texte saint en plus de l'abondance des sites Internet détournant et fossoyant les vraies valeurs et préceptes de la religion islamique. Ce sont ces facteurs réunis qui favorisent le fanatisme religieux, la haine et le rejet de l'autre et la violence dans son acception la plus large», a fait valoir Cheikh Belhassen avant d'ajouter que seules les démarches pédagogiques appropriées aideront à remettre ces personnes instrumentalisées sur le droit chemin. Dans ce sens, il a proposé d'engager, pour ce faire, les ulémas afin de mieux éclairer au lieu de les réprimer en recourant à la violence. Car «la tyrannie ne mène qu'à une autre tyrannie», selon lui.