Sur la place politique, il y a comme une accalmie dans l'air. Les événements des dernières semaines semblent avoir secoué tout le monde. Depuis bientôt deux mois, les faits tragiques se sont succédé. Cela a commencé avec l'attaque de l'ambassade américaine à Tunis le 14 septembre, soit trois jours après celle du consulat américain à Benghazi. Il y a eu des morts, des blessés et beaucoup d'interrogations lancinantes. Un mois plus tard, survenaient les violences de Tataouine, qui se sont soldées par l'assassinat de Lotfi Nakdh. Puis les violences et le couvre-feu à Gabès. Enfin, les confrontations meurtrières à Douar Hicher et l'insoutenable image d'un imam autoproclamé, brandissant son linceul en direct à la télé et exhortant la jeunesse tunisienne à en faire autant. Il en est résulté une atmosphère de peur, de frayeurs et d'angoisse du lendemain. Nous l'écrivions sur ces mêmes colonnes il y a une semaine, «les Tunisiens doutent, les Tunisiens ont peur». Tout compte fait, le maintien de la classe politique a fini, lui aussi, par lasser. A l'arrogance non déguisée des uns s'ajoute la propension querelleuse des autres. Et c'est — pour une fois — démocratiquement partagé entre les gens du pouvoir et ceux de l'opposition. Entre-temps, les problèmes n'en finissent pas de s'accumuler : chômage massif, déséquilibre régional, renchérissement vertigineux des prix, spécialement ceux des produits alimentaires, insécurité tous azimuts... Plus d'un se sont dits en leur for intérieur : «Tous pareils», ou tout bonnement «tous pourris». Et de balayer d'un revers de main la confiance dans la capacité de la classe politique à relever les défis, trouver les issues heureuses ou même probables et, surtout, rassurer le citoyen lambda. Mais, dira-t-on, à quelque chose malheur est bon. C'est peut-être en touchant le fond que les gens se rendent compte de la nature des dangers encourus. Depuis disons une semaine, il y a comme une volonté d'apaisement dans l'air. Et elle semble démocratiquement partagée, elle aussi. Les premiers à en faire montre sont les dirigeants et les partisans du mouvement Ennahdha, faction majoritaire, voire hégémonique, de la Troïka gouvernante. Au cours du dernier Conseil de la choura du mouvement, il y a une semaine, les débats ont été houleux. Il en est résulté un rapport final partiellement critique vis-à-vis du gouvernement, de l'économie ou de l'incurie dans le traitement de certains dossiers épineux tel celui de l'information. Les observateurs n'ont pas manqué de relever la teneur un tantinet différente, quoique timide, de ce rapport final. Son ton tranche nettement avec les approches triomphalistes et d'autosatisfaction à tout vent en vigueur jusqu'ici. Et puis, ceux qui sont un peu dans les secrets de Dieu rapportent que le topo est différent depuis peu. Les gens au pouvoir semblent plus perméables aux critiques et osent enfin jeter sur eux-mêmes un regard non complaisant. Est-ce une nouvelle tendance ? Ou bien, c'est dans l'ordre des choses, nécessité faisant loi ? Cela se dissoudra-t-il dans le circonstanciel ? Personne ne sait en fait. La dernière ligne droite avant les élections législatives et présidentielle se profile. La Troïka n'en est plus une. Ennahdha sait pertinemment que ses alliés (CPR et Ettakatol) sont fragilisés. Scissions, désertions et retournements de veste n'en finissent pas de les affaiblir sérieusement. Ils sont au bord du gouffre. Ennahdha peine à trouver de nouveaux alliés. D'autant plus qu'elle est elle-même fragilisée par l'usure du pouvoir et certaines erreurs et fautes qui peuvent s'avérer fatales. En face, les rangs de Nida Tounès grossissent. Et le Front populaire s'avise de jouer les trouble-fête dans le concert annoncé de la bipolarisation. Alors autant regagner les confiances. Et faire en sorte que même les déçus ne rallient pas le camp adverse. La posture sera-t-elle porteuse ? Le proche avenir nous le dira.