La 24e édition des Journées cinématographiques de Carthage a connu un démarrage difficile, depuis l'ouverture aux premières projections dont certaines ont été annulées ou retardées par des soucis techniques. Pourtant, sur le papier, le programme du festival semble avoir tout prévu, en organisant entre autres une rencontre à propos du centre national du cinéma et de l'image (CNCI). Ayant comme modérateur l'universitaire et critique de cinéma Kamel Ben Ouanès, cette rencontre, qui a meublé la journée du samedi 17 novembre, s'est basée sur les expériences de quelques pays en matière de centres cinématographiques, tout en faisant l'approche avec le contexte tunisien. Le CNCI y est réclamé et attendu par les professionnels, qui ont manifesté leur mécontentement, via communiqué entre autres, suite à la nomination de Adnène Khedher à sa tête, sans qu'ils n'aient été consultés à ce sujet. Le directeur contesté était absent de la rencontre mais pas les professionnels, notamment du côté des réalisateurs tunisiens. Les interventions leur ont permis, au même titre que tous les présents — pas nombreux, disons-le au passage—, de savoir comment d'autres pays ont lancé leurs centres, les politiques et stratégies qu'ils ont adoptées et les modes de fonctionnement auxquels ils ont obéi. Ce qui déplaît tant aux professionnels du cinéma tunisien s'avère être de mise sous d'autres cieux, où le directeur est nommé par décret de la présidence de la république. Mais s'il y a quelque chose à retenir de cette rencontre, c'est bien le fait que les modèles diffèrent d'un pays à l'autre. Ils dépendent souvent du contexte politique. En Tunisie, l'actuelle phase transitoire fait que tout est politique, même le culturel. Les exposés ont concerné l'Algérie, l'Iran, la France et le Maroc (la Côte d'Ivoire, l'Egypte et la Belgique étaient également prévus mais leurs représentants se sont absentés). Dans ces quatre pays et à différents degrés, une politique propre au secteur cinématographique a été pensée et appliquée depuis déjà des décennies et elle a déjà porté ses fruits. Rappelons que la Tunisie avait une structure qui pouvait, si ce n'est les problèmes financiers qui ont conduit à sa mise en liquidation en 1992, évoluer vers un centre du cinéma et de l'image. Il s'agit de la Société anonyme tunisienne de production et d'expansion cinématographique (Satpec), créée dans les années 1960. La volonté politique, d'abord Les deux pays aux expériences les plus convergentes, et qui peuvent le plus servir de référence pour la Tunisie, sont la France et le Maroc. Les centres de cinéma, respectivement CNC et CCM, y ont été fondés la même année, en 1944, en suivant le même modèle, à quelques différences près. Le CCM possède un laboratoire étatique et une unité d'archivage, ce qui n'est pas le cas du CNC. Quant aux objectifs communs, ils concernent la réglementation, le soutien financier (fonds d'aide à la production et à l'exploitation) et la promotion des films locaux. Dans ce dernier volet, chacun des deux pays s'y prend différemment. Le Maroc accorde une grande importance à la production de courts-métrages, un moyen de révéler les talents cinématographiques qui seront plus tard aidés pour leurs premiers longs-métrages. Cela donne une soixantaine de courts par an, et une vingtaine de longs. Ces chiffres sont évidemment négligeables devant ceux réalisés par la France (200, toutes catégories confondues) qui se classe 2e au monde, après les Etats-Unis, en matière de notoriété cinématographique. Les statistiques sont également incomparables quand on en vient au parc des salles de cinéma. La disparition des salles est un problème commun à la Tunisie, à l'Algérie et au Maroc, mais la volonté politique sauve celles de l'Iran et de la France. La capitale européenne du cinéma (la filière présente un investissement équivalent à 1% du PIB français) a réussi cet exploit grâce au basculement en numérique de toutes les salles et à l'éducation à l'image, et ce, depuis l'école. Par conséquent, les gens continuent de fréquenter les cinémas malgré l'internet et le DVD. Ce rôle est assuré par des programmes spécialisés, élaborés au sein même du CNC qui a à son actif un autre exploit, celui de ne plus avoir besoin des fonds de l'Etat. Le centre a, en effet, atteint l'autofinancement en 2011, grâce à la rentabilité des œuvres produites, grâce à une politique d'encouragement des tournages de films étrangers en France et puis grâce à l'usage du numérique, à savoir la mise en ligne de films en téléchargement légal payant, la vidéo à la demande et les télévisions de rattrapage sur les sites web. Concernant les difficultés rencontrées par les différents centres, un thème qui a dominé le débat, les soucis sont loin d'être les mêmes. Le CNC bataille pour faire admettre à la Commission européenne la nécessité de soutenir le cinéma européen. Le combat est principalement législatif puisque les aides d'Etat, quel que soit le secteur, doivent être autorisées par la Commission européenne. Mais la législation et la volonté politiques restent un vecteur commun pour la réussite des stratégies d'un centre de cinéma, quelle qu'en soit l'origine, en plus d'une politique de coopération et de soutien avec la télévision. Chose qui est de mise en Iran, où les télévisions achètent les films produits par les trois principaux centres cinématographiques, dont celui «Farabi» et le centre du cinéma documentaire et expérimental, financés à hauteur de 50% par l'Etat. Et comme les films étrangers sont rarement projetés dans les 300 salles du pays, les Iraniens sont obligés de consommer local (une production de 80 films par an). Ils ont tout de même recours aux DVD pour voir des films d'autres nationalités. Nombreuses étaient les idées développées, lors de cette rencontre, relatives au projet — encore embryonnaire — du CNCI tunisien. En tout cas, l'intérêt ne manquait pas de la part des professionnels qui n'ont pas hésité à poser de nombreuses questions en vue de comprendre le fonctionnement des centres invités à la rencontre, notamment en ce qui concerne l'aide à la production. Un intérêt a été également manifesté de la part de représentants du ministère de la Culture, dont, à titre d'exemple, le responsable juridique qui a soulevé des questions techniques ayant trait à son domaine d'activité. Même l'expérience algérienne — essentiellement tournée vers la cinémathèque, donc la restauration, l'archivage et le catalogage des films— et celle de l'Iran, malgré le protectionnisme étatique à caractère politique qui s'y fait sentir, peuvent être, sur certains points, bénéfiques pour la Tunisie. Ce qui revenait tout le temps, c'est l'importance de la législation et de la volonté politique à dynamiser le secteur cinématographique. La Tunisie a beaucoup de retard à rattraper, ne serait-ce que pour lancer le CNCI sur de bonnes bases et selon un modèle répondant aux besoins des professionnels et de la production locale. Ultérieurement, la Tunisie pourrait ainsi répondre à l'initiative lancée par le Maroc pour la création de la «communauté des cinématographies africaines» (CCA), qui réunit les centres cinématographiques des pays africains francophones.