En voulant coûte que coûte installer son histoire dans un contexte historique, le réalisateur a perdu son fil filmique On a vécu durant toute cette 24e édition dans l'attente de la projection, maintes fois reportée, du dernier film de Nouri Bouzid Ma n'moutich, une production très attendue qui a drainé un très large public lors de ses deux premières projections du vendredi soir (21h00 et 23h30). La salle Le Colisée était archicomble et on attendait impatiemment de retrouver le cinéma de Nouri Bouzid, l'incisif. Arrivé sur scène, ce dernier a tenu à présenter toute son équipe technique et ses comédiens, expliquant à l'assistance son choix du titre de son film Ma n'moutich (littéral : je ne meurs pas). Beautés cachées est l'histoire de deux jeunes filles; la première refuse de porter le voile pour plaire à un fiancé opportuniste et hypocrite, la seconde y tient et refuse de l'enlever pour obéir à un patron libidineux et harceleur. Malgré la pression de la famille et le harcèlement de la société, les deux filles résistent, au risque de perdre un travail et un riche prétendant. Contrairement aux autres films de Nouri Bouzid qui nous a habitués à une écriture minutieuse de ses personnages et de sa trame, on se retrouve dans Ma n'moutich face à une œuvre qui a du mal à convaincre. Nouri Bouzid, comme beaucoup d'autres cinéastes tunisiens, est pris au piège de la révolution tunisienne, car voulant coûte que coûte installer son histoire dans un contexte historique que tout un chacun a vécu dans sa chair, c'est-à-dire entre le 14 janvier 2011 et la Kasbah 1 (qui a eu lieu durant le mois de février), ce qui a fait beaucoup de tort au film. Comment un scénario écrit avant la révolution peut-il intégrer facilement des événements qui peuvent changer et influencer la trajectoire des personnages, voire les changer d'une manière radicale, sans détruire toute la construction dramatique ? C'est un des grands préjudices que Nouri Bouzid a fait à son film. Car dans Beautés cachées, on tombe dans des anachronismes et on met en images des scènes qui ont lieu bien longtemps après Kasbah 1, telles que les agressions des salafistes dans les arrêts de bus, leur présence à la Kasbah parmi le sit-inneurs, etc. Tout comme ces confrontations entre les comités de quartier et les forces de l'ordre, alors que tout le monde connaît l'absence totale des agents de police durant ces jours de chaos où seule l'armée était présente dans la rue. Revenons aux personnages que Nouri Bouzid installe dans son film. Nous pouvons relever plusieurs invraisemblances, dont notamment la passivité du père face à la situation que vit sa fille, Zeïneb (rôle campé par Nour M'ziou) que sa propre mère drogue, en lui administrant des infusions de pavot pour lui imposer le voile. Idem pour le personnage de la tante qui vient à la rescousse de sa nièce pour la convaincre de jouer à l'hypocrite et user de la ruse, en lui couvrant la tête d'un bout de tissu et qui, dans une autre scène, s'élève pour défendre les libertés et agresse même le fiancé parce qu'il veut imposer à la fille une pratique religieuse dont elle n'est pas convaincue. Une volte-face qui n'est pas justifiée par le scénario. Quant au deuxième personnage central, Aïcha, la pâtissière, campé par Souhir Ben Amara, une fille combative et militante qui a participé aux manifs et qui tient à ses principes, elle devient docile face à son patron qui la harcèle dans les cuisines de la pâtisserie, à quelques mètres de ses collègues. Et nous en passons... Nouri Bouzid, avec Beautés cachées, s'embourbe dans les aléas des ajouts dans son scénario, et tombe dans des maladresses, des situations ambiguës et sans prétextes clairs, comme pour le frère salafiste, (Hamza) joué par Bahram Aloui qui, du jour au lendemain, abandonne ses convictions et rejoint les militants de la Kasbah. Et on ne comprend pas comment un cinéaste comme Nouri Bouzid puisse tomber dans les clichés des scènes de fêtes féminines, dans les cuisines, où on prépare de la pâtisserie en chant, dans la joie et la bonne humeur... Quant au personnage du fiancé (Brahim), joué par Lotfi Abdelli, il nous donne l'impression qu'il n'a pas été suffisamment développé et que même ses répliques se limitent à être des vannes et des gags. Dommage que Beautés cachées, qui voulait être un film féministe, sur les droits individuels et qui voulait mettre en avant le droit de tout un chacun à disposer de sa vie et de ses choix, se retrouve au beau milieu d'un marasme filmique qui perd le fil de son histoire et de ses personnages.