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Au pays de l'exclusion
Sejnane
Publié dans La Presse de Tunisie le 21 - 12 - 2012

Sejnane, voilà une ville qui a tous les atouts pour rayonner : un accès à la mer, des plaines fertiles à perte de vue, un paysage montagneux et une bonne pluviométrie. Sauf que ce coin du pays, rattaché administrativement au gouvernorat de Bizerte, présente une toute autre réalité. Il suffit d'y faire un saut pour se rendre compte de la misère sociale qui plombe le quotidien de ses habitants. Avec un taux de chômage record et le déclin de l'activité minière dans la région, Sejnane ressemble à une ville dortoir, pour ne pas dire une cité fantôme. Gros plan sur une localité qui végète dans l'oubli.
Quand on visite les villages et les petites villes du Nord et celles du Nord-Ouest tunisien, il suffit de faire un petit détour du côté des cafés pour comprendre tout le drame social de ces régions. Et Sejnane ne déroge pas à cette règle. En effet, si les chiffres officiels confirment ce constat dans la mesure où ils indiquent un taux de pauvreté dépassant les 80% et un taux de chômage avoisinant les 60%, ce gros bourg de plus de 40 mille habitants (41.010, selon les résultats du recensement de 2004) présente une situation socioéconomique très chaotique.
Chat et cougars pour en finir avec la misère
Nizar El Mechergui, 27 ans, titulaire d'un BTS en électromécanique, est en chômage depuis 2 ans. Rencontré dans un café situé en face de la gare de Sejnane, en train de siroter un capucin avec ses copains, il donne un témoignage sur la situation des jeunes diplômés dans cette ville : « Sejnane souffre d'un grand problème de chômage et de développement. C'est une véritable enclave. Notre situation est au-dessous du zéro. Les jeunes passent des heures et des heures dans les cafés pour écouler leurs journées. De plus, aucune activité n'est enregistrée dans les maisons de jeunes et de la culture. Il ne reste plus que le Chat (Tchatche) via internet pour draguer une étrangère, une « Cougar » ou une jeune fille si on a de la chance, et l'épouser par la suite pour fuir cette misère. C'est la mode à Sejnane. La seule fois où j'ai travaillé c'était lors des dernières élections en tant que membre de l'Irie (Instance régionale indépendante des élections). En deux jours, j'ai reçu une enveloppe de 120DT. Depuis, c'est la guigne».
Une situation foncière ambiguë
Afif Maâlaoui est lui aussi au chômage. Titulaire d'une maîtrise en Sciences de la vie et la terre, le jeune de 29 ans raconte : « Vous vous imaginez qu'à Sejnane, il n'y ait pas un bureau local d'emploi ? Pour faire le pointage mensuel, on doit parcourir 55 km pour se rendre au bureau d'emploi de Mateur. Ce voyage mensuel coûte 10DT par personne aller et retour en transport collectif. Parfois, pour accéder au bureau de la recette des finances ou une autre administration, nous devons parcourir 75 km. ». Il ajoute : « Cette situation a poussé plusieurs jeunes diplômés à se tourner vers la contrebande en important, de manière illégale, de l'essence, du tabac ou des pneus d'Algérie ».
Qui dit développement, dit aussi un terrain propice. Or, selon Jihed Maâlaoui, 29 ans, titulaire d'un diplôme de technicien supérieur en gestion de tourisme et au chômage, Sejnane ne manque pas d'arguments pour devenir un pôle touristique à l'image de Tabarka : «Sejnane a été gâtée par Dieu. Nous avons des rivages qui s'étendent de Cap Serrat jusqu'au Cap Negro, sans oublier les belles plaines verdoyantes et les belles collines. Ici on peut faire du tourisme balnéaire, montagnard, écologique etc. Hélas, le seul « hôtel » qui existe est celui de Sidi Mechreg, un établissement vétuste. La ville de Sejnane souffre, en plus, d'un grand problème de terres. En effet, personne ne possède un ‘‘ titre bleu'' pour les terres qu'il occupe. Toutes les terres que vous voyez sont la propriété de l'Etat. Ainsi, personne ne peut disposer de quoi que ce soit. Il n'y a ni vente ni achat, ce qui explique l'immobilisme à Sejnane. Il n'y a pas d'investisseurs qui viennent, et même nos immigrés préfèrent acheter des terres dans d'autres localités». «Sejnane est une ville dortoir », renchérit Ahmed, un autre jeune demandeur d'emploi.
Selon Mabrouk El May, enseignant au lycée de Sejnane et militant syndicaliste à l'UGTT depuis les années 80, durant le règne de Bourguiba, Sejnane a toujours été considérée comme un bastion des Youssefistes (les sympathisants du leader Salah Ben Youssef) et Hachadistes. Ce qui explique sa mise à l'écart par le pouvoir. « Qui dit Sejnane, dit une activité agricole prospère. La région est connue depuis l'ère coloniale pour ses cultures du tabac et des graminées. D'ailleurs, entre les années 70 et 80, les ouvriers venaient de tous bords pour trouver du travail chez nous. De plus, la région était très connue pour sa pratique de l'élevage. Malheureusement, les choses ont changé avec la privatisation des projets agricoles entre les années 80 et 90 et le déclin de l'activité minière qui exploitait le fer à Edhwahria et à Tamra. Même le train ne passe plus par Sejnane. Il ne reste plus que l'élevage pratiqué par les petits agriculteurs. ». Et de continuer : «Même cette activité a été anéantie durant les années Ben Ali. En effet, c'est dans le cadre du programme de développement intégré du Nord-Ouest, qui visait à améliorer les races bovines et caprines, que la race locale a été remplacée par d'autres races. Cette politique de substitution a été un grand désastre et a contribué au déclin de la race locale. D'autre part, la privatisation du secteur de collecte du lait a poussé plusieurs producteurs à mettre fin à leurs activités tant le prix du lait a été bradé par ces centrales privées qui ne cherchaient que le profit aux dépens des éleveurs. Tous ces facteurs ont contribué à la situation que connaît la ville aujourd'hui. ».
Une situation catastrophique dans les zones rurales
Salem Salhi, 32 ans, exprime un autre angle de la détresse que connaît la ville à travers ses activités au bureau du Croissant rouge local : « Lutter contre la précarité est notre combat au quotidien. C'est la catastrophe dans les zones rurales de Sejnane. Les gens manquent de tout. Nous avons donné beaucoup d'aides en nature (couvertures, lait en poudre, médicaments, etc.) et effectué plusieurs tournées de sensibilisation. Mais dans ces zones il y a un grand amalgame entre le rôle des ONG et celui de l'Etat. Nous avons trouvé beaucoup de difficultés pour intervenir. Je suis très pessimiste pour l'avenir de Sejnane et je crains qu'il n'y ait rien à attendre de ce gouvernement, du moment que le statut de notre ville reste flou. On ne sait pas si Sejnane figure ou non parmi les régions défavorisées. Nous n'avons rien vu des 80% du budget alloués aux régions de l'intérieur. La ville ne possède rien. Et personne ne possède un titre bleu dans ce bled. Tout le monde est assis sur un siège éjectable avec aucune perspective. Cette situation pousse tous les jeunes à s'exiler dans les autres régions pour trouver du travail. Quant à ceux qui restent ici, ils n'ont pas beaucoup de choix, soit ils travaillent comme ouvriers journaliers dans les travaux collectifs sous l'égide de la direction des forêts ou bien c'est le chômage qui les attend à bras ouverts. Ce qui me laisse poser la question suivante: y-a-t-il une place dans le programme du gouvernement provisoire pour une ville comme Sejnane ? ».
Du travail au compte-gouttes pour les ouvriers
Devant la délégation de Sejnane, un groupe d'ouvriers attendent de rencontrer Abdelkader Jebali, le délégué de la ville, alors que ce dernier est absent. Nous avons voulu prendre contact avec lui mais le responsable ne répondait pas aux appels sur son téléphone portable. Pis encore, à la sortie de la délégation, nous avons été suivis par deux agents. Une sorte de filature qui rappelle étrangement les pratiques de la police politique et celles de la milice du RCD à l'époque de la dictature. Bref, nous les avons ignorés et nous nous sommes dirigés vers un groupe d'ouvriers pour recueillir leur désarroi.
Amor Ben Brahim Saïdani, l'un d'eux, affirme que le délégué leur offrait un emploi dans les travaux de la direction des forêts : « Chaque ouvrier avait le droit d'être mis sur une liste pour travailler huit jours par mois. Nous sommes payés dix dinars par jour, mais nous ne recevons la paie qu'à la fin du mois. Vous vous imaginez ? Il faut recevoir la bénédiction du délégué pour être inscrit dans la liste. » . De son côté, Taher Ben Belhassen Abassi, 51 ans, a pointé du doigt ce système de sélection des candidats très opaque : « Depuis l'âge de 16 ans, je travaille comme ouvrier dans ce genre de travaux. Notre situation est désastreuse. Que faire avec 80DT par mois alors que ma dernière facture de la STEG était de 40DT ? Est-ce qu'avec 80DT on pourrait faire vivre une famille ? Le délégué chargé de Sejnane nous ignore et personne ne se préoccupe de notre situation. ».
Assurément, tout porte à croire que la situation sociale de Sejnane risque d'exploser à tout moment s'il n'y aurait pas de mesures urgentes de la part du gouvernement provisoire. Une telle situation peut expliquer la radicalisation qu'a connue la région il y a presque onze mois, avec le basculement de la ville aux mains des salafistes. Avec une absence totale de programmes de développement, l'exemple de Siliana pourrait faire des émules aux pays de la poterie paysanne.


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