A l'heure actuelle, «les réseaux et les points d'accès ont peut-être changé, mais le marché parallèle bat son plein au détriment des marques tunisiennes», constate un industriel. D'où la question : comment peut-on investir et produire tout en sachant que le marché est biaisé? Tous les secteurs sont menacés par la vague de l'économie souterraine. Tous les chefs d'entreprise rencontrés, ainsi que les déclarations officielles de l'organisation patronale s'accordent à ce que le poids de l'économie informelle a dépassé tous les seuils permis. «C'est le cancer de l'économie nationale, notamment pour l'artisanat», déplore M. Habib Chabbouh, président de la Chambre nationale de la poterie artistique. En effet, d'après les statistiques de 2010, l'importation des articles de l'artisanat s'élève à 2.000 conteneurs. «Tout compte fait, la production d'un conteneur de marchandise nécessite 200 travailleurs. Par effet multiplicateur, on accuse un manque de 25 mille postes annuellement dans le secteur», explique-t-il. Et ces marchandises trouvent plusieurs issues, pour arriver au client final. «Même dans les magasins agréés, où la loi stipule que 90% des produits exposés doivent être d'origine tunisienne et le reste de l'importation, les faits montrent l'inverse», s'alarme-t-il. Pis, ces produits importés échappent aux contrôles nécessaires. Certains des produits, notamment de la céramique de table, qui touchent directement la santé des clients ne doivent pas contenir des métaux lourds. Mais «le marché est inondé de produits qui ne respectent pas cette norme essentielle à des prix alléchants», regrette-t-il. Et de s'interroger : «On n'arrive pas à comprendre comment ces produits sont arrivés là?». Il est vrai que dans cette phase de transition, ajoute-t-il, on a assisté à un fléchissement de la douane et des services de contrôle. «Beaucoup de produits passent par nos ports et la contrebande bat son plein sur les frontières ouest», relève le professionnel. Le comble, selon M. Chabbouh, est que les grandes surfaces consacrent des rayons et des stratégies commerciales agressives pour écouler ces produits sur le marché national, tout en écartant les produits tunisiens de leurs plans. Autre conséquence directe, les touristes qui achètent en Tunisie des produits de mauvaise qualité, contrefaits ou d'origine douteuse, porteraient des jugements négatifs sur les produits et les producteurs tunisiens. «Alors que l'article acheté ou ses composantes ont été importés», précise-t-il. En somme, la survie des producteurs du secteur est à la merci des circuits informels. «Déjà, le secteur qui comptait 76 corporations se limite de nos jours à seulement 13 spécialités», rappelle-t-il. Face à cette situation, il considère incontournable la mise en place d'un cadre législatif qui exige des autorisations d'importations des produits de l'artisanat suite à un contrôle technique des caractéristiques des produits. L'extinction des marques tunisiennes Propriétaire de plusieurs marques de prêt-à-porter, homme et femme, M. Belhassan Ghrab, fraîchement élu au Bureau exécutif de l'Utica, n'a pas caché son malaise quant à la taille des activités parallèles. Il s'est appuyé sur le constat qu'on compte moins de marques tunisiennes que pendant les années 90, pour pointer du doigt le marché parallèle qui ne cesse de prendre de l'ampleur. «Bon nombre de ces commerçants n'offrent que des produits asiatiques. En effet, l'importation du prêt-à-porter a constitué une affaire juteuse pour plusieurs». A l'heure actuelle «les réseaux et les points d'accès ont peut-être changé mais le marché parallèle bat son plein au détriment des marques tunisiennes», constate-t-il. D'où la question : comment peut-on investir et produire tout en sachant que le marché est biaisé? Dans le même ordre d'idées, l'industriel ne cesse de répéter «On ne peut pas développer une marque quand on importe illégalement les produits de prêt-à-porter». D'ailleurs, le producteur national qui paye ses impôts et ses taxes, ses employés et qui contribue au développement de la société se trouve concurrencé par des opérateurs qui échappent à toute réglementation douanière, fiscale ou même sanitaire. Pour préserver un secteur qui emploie 200 mille personnes, il estime incontournable de limiter les importations, notamment «sauvage». Du pôle économique du sud, deux hommes d'affaires de Sfax partagent un amer constat : plusieurs usines implantées dans une zone industrielle de la ville se sont transformées, durant ces dernières décennies, en vitrine de commerce. «Face à une concurrence déloyale, plusieurs chefs d'entreprise ont mis les clefs sous la porte. Et ceux qui ont réussi à sortir leur épingle du jeu sont devenus des commerçants importateurs des articles qu'ils produisaient», explique l'industriel. Catégorique, son confrère déclare: «Le marché parallèle a beaucoup de mérites sur le plan social mais aussi économique. Mais, le volume des échanges informelles ne doit pas dépasser 10 à 15% de l'économie». Des jouets aux articles de prêt-à-porter en passant par les accessoires, les produits cosmétiques et les outils ménagers, l'offre est à la fois complète et à bon marché. Une offre bien étudiée et adaptée aux ménages tunisiens, soucieux de préserver leurs budgets. Sur un autre plan, l'origine lointaine de ces marchandises, l'ampleur des quantités présentées sur le marché et l'alignement des prix de ces biens sur tout le territoire national témoignent pertinemment que le phénomène des étalages anarchiques n'est pas aussi anarchique qu'il le paraît. Il convient, alors, de se demander si le départ des vieux démons de la contrebande et du commerce illicite est suffisant pour assainir le marché domestique. La réponse est négative.