Une vidéo diffusée la semaine dernière sur les réseaux sociaux a créé un vif tollé dans la société. Le Cheikh Béchir Ben Hssan y condamne vivement la célébration de la naissance du Prophète Mohamed, jugeant que les personnes qui le fêtent sont les moins pieuses, qu'ils ne se souviennent qu'un jour par an du Prophète Mohamed et qu'ils pèchent essentiellement par défaut de gourmandise. Toujours selon ce prédicateur, la célébration du Mouled n'a pas lieu d'être, dans la mesure où il n'est ni mentionné dans les hadiths du Prophète ni dans le Coran. Cette position tranchée par rapport à une tradition solidement ancrée depuis des siècles dans les us et coutumes tunisiennes a soulevé une levée de boucliers dans le monde politique où chacun y est allé de son propre commentaire. Membre du bureau de Nida Tounes, Mohsen Marzouk n'y est pas allé par quatre chemins, s'opposant vivement à ces propos, en rétorquant sur sa page facebook que «l'assida» est «un devoir national, une action politique et identitaire; une expression de notre identité tunisienne et un acte de résistance contre les tentatives de colonialisme culturel de notre pays». Il a ajouté avec humour : «Celui qui se pliera à ce devoir national et identitaire... ne le regrettera pas... Ce devoir national est particulièrement délicieux!». Les avis sont plus nuancés du côté des autres cheikhs et imams qui partagent pour les uns la position du Cheikh Hssan, alors que d'autres réfutent totalement ses propos. Si la célébration de la naissance du Prophète Mohamed ne figure pas dans les textes coraniques et les hadiths, elle n'a pas non plus été ni implicitement ni explicitement interdite par les textes religieux, relève un professeur d'éducation islamique. L'histoire montre, en effet, que la célébration de naissance du Prophète Mohamed remonte à des lustres, plus précisément à l'an 1170 de l'Hégire. Les festivités battaient leur plein, les croyants se réunissaient et des chants traditionnels et des poèmes lyriques étaient déclamés glorifiant le Prophète dans toutes les contrées de la péninsule arabique. Cette tradition sera maintenue pendant des siècles et des poèmes continueront à être composés et écrits en l'honneur du Prophète. Le plus célèbre reste la «Quacidet El Burda», un poème de 517 vers, composé par le Cheikh El Boussayri dont le style inimitable et la richesse des vers vont imprégner les esprits et séduire des milliers de musulmans qui vont en faire une référence incontournable en matière de louange et de glorification du Prophète, traversant les frontières, à travers les siècles, alors qu'aucun interdit n'est imposé à la louange et la glorification du Prophète le jour de la célébration de sa naissance. En Tunisie, la célébration du Mouled a une double vocation religieuse et culturelle. Historien et gardien de la mémoire collective, Abdessatar Amammou, nous ramène aux origines de la célébration du Mouled qui a été fêté de diverses manières tout au long des périodes qui ont marqué l'histoire de la Tunisie. La polémique suscitée récemment, à ce propos, est une tempête dans un verre d'eau selon l'historien, affirmant, en outre, que certains prédicateurs radicaux «veulent coûte que coûte effacer notre histoire, notre patrimoine, notant qu'il n'existe aucun hadith, ni texte religieux qui interdit la préparation de l'assida. Je ne crois pas qu'on aille en enfer parce qu'on va célébrer la naissance du prophète», ajoutera-t-il à ce propos. Les facettes de la célébration du Mouled sont multiples : culturelle, culinaire, religieuse... Sur le plan culinaire, symbolisant la naissance de l'être humain «l'assida» va, pendant des siècles, s'imposer comme le principal mets qu'on prépare dans les foyers pour se rappeler la naissance du Prophète Mohamed. Elle est préparée à base de semoule fine dans le Nord et d'orge dans le Sud. Une tradition culinaire qui va être perpétuée pendant des siècles jusqu'à aujourd'hui où, avant-hier, encore des centaines de personnes, insensibles aux propos du Cheikh radical Ben Hssan, faisaient le tour des épiceries et des centres commerciaux pour acheter les grains de pin d'Alep afin de préparer ce met si prisé dans notre contrée qu'est «l'assidet zgougou».