Par Azouz Ben Temessek Faculté de Droit de Sousse (Assistant en droit public) Démocratie locale. A première vue, l'expression est neutre. Elle désigne simplement l'exercice de la démocratie au niveau local, ce qui se résume souvent à l'élection et au fonctionnement clos sur lui-même d'un conseil municipal. Un premier courant de la doctrine estime qu'il n'est pas forcément nécessaire d'aller plus loin : chaque adulte apte au vote ayant été appelé à se prononcer, ceux qui ont été choisis ont à la fois la légitimité suffisante et la responsabilité de prendre des décisions au nom de tous. Tout électeur insatisfait par ces dernières reste libre de proposer des orientations différentes, en présentant sa candidature aux échéances suivantes. Favorable au développement d'une politique cohérente, la durée du mandat municipal (d'où découlent d'éventuelles responsabilités à un niveau intercommunal ou au niveau d'un pays) pose, toutefois, problème: cinq ans, cela peut être long dans la vie d'une collectivité locale. Le fait de reposer sur le socle des électeurs inscrits constitue une autre limite : certains votent dans des communes dont ils ne sont pas vraiment résidents, alors que d'autres personnes impliquées dans la vie d'un territoire ne peuvent pas participer aux scrutins qui s'y déroulent. Enfin, par définition, la démocratie représentative ne sollicite que de façon très intermittente l'avis des citoyens. Ceux-ci sont, certes, invités à lire des comptes rendus et même à assister aux séances du conseil municipal, mais la sollicitation et l'interpellation des élus constituent, parfois, les deux seules manières pour un «non-élu» de contribuer à la vie publique. Ces limites font qu'au niveau local, la logique représentative des élections est de plus en plus souvent complétée par des mécanismes participatifs : commissions extramunicipales, diagnostic territorial élaboré en concertation étroite avec des acteurs locaux, consultation de la population sur tel ou tel projet… L'émergence de ces pratiques suscite, cependant, diverses critiques. Pour le premier courant de la doctrine évoqué plus haut, cette démocratie participative sape les fondements de la démocratie représentative, en complexifiant les mécanismes de prise de décision. Il fait, par exemple, remarquer que les lieux de débat ainsi ouverts ont toutes les chances d'être surtout investis par les personnes et les groupes les mieux à même de se faire entendre. De plus, n'ayant aucun compte à rendre (aux électeurs, à l'administration…), les démagogues trouvent là un terrain idéal pour multiplier les «y a qu'à» et les «faut qu'on». Aux antipodes du premier courant de la doctrine, ceux qui rêvent d'une démocratie participative et directe considèrent que l'approche participative n'est qu'un leurre, car le pouvoir de décision reste aux seuls élus. Ils estiment qu'en réalité, les démarches de consultation ou de concertation servent essentiellement à faire passer plus en douceur des décisions déjà prises. Au mieux, ces démarches ne peuvent apporter que quelques ajustements à la marge. Ces deux types de réquisitoires ne peuvent être ni ignorés ni renvoyés dos à dos. Il n'est, en effet, pas possible de négliger les risques de manipulation que comporte «la démocratie de forum» et il paraît évident que nombre d'appels au débat ne mettent réellement en jeu que des points de détail. Toutefois, chacun de ces réquisitoires peut lui-même être discuté. Est-il, tout d'abord, avéré qu'un conseil municipal élu soit par essence responsable, protégé du pouvoir des beaux parleurs et sourd à l'influence du pouvoir central? Et, à l'inverse, qui peut vraiment croire à la fiction d'une population citoyenne perpétuellement intéressée par le débat public et, en conséquence, capable de se prononcer sur n'importe quel sujet? Ces questions ne se posent évidemment pas qu'au niveau local, mais force est de constater que c'est essentiellement à ce niveau que s'expérimentent des essais de réponses. Ces tentatives, dont il est possible d'affirmer que certaines sont couronnées de succès, n'opposent généralement pas «démocratie représentative» et «démocratie participative». Impliquant (voire étant initiées par) les élus, la plupart visent, au contraire, à conjuguer les deux. Plus un territoire est vaste, plus la dimension participative est difficile à imaginer. Il faut, d'ailleurs, noter que les efforts réalisés à ce propos en milieu urbain conduisent à travailler surtout au niveau du quartier et non pas de la ville. Ceci explique la fréquente confusion entre «démocratie locale» et «démocratie participative». Une telle confusion n'est actuellement pas pensable à d'autres niveaux (international, national, régional…).