De nombreuses municipalités vivotent avec des problèmes de gouvernance et font avec comme elles peuvent. En attendant l'adoption de la nouvelle Constitution, l'organisation des élections présidentielles et législatives et la mise en place des institutions définitives de l'Etat, la gestion des municipalités continuera à être problématique.
Pour éviter les tiraillements politiques, il était convenu d'opter pour le consensus. Toutefois ce qui vient de se passer à Sfax bat en brèche la volonté de consensus.
Mabrouk Ksantini remplace Mohamed Néjib Abdemoula à la tête de la délégation spéciale de la ville de Sfax. Il préside une liste composée de 23 membres, d'obédience majoritairement nahdhaoui. Hier, de nombreux citoyens se sont rassemblés devant la municipalité de Sfax pour empêcher la prise de fonction de la nouvelle délégation spéciale installée dernièrement. Le gouverneur a subi des attaques verbales et a été bloqué dans sa voiture durant une demi-heure. Les citoyens présents exprimaient leur opposition à cette nomination. Des militants nahdhaoui ont eu des accrochages avec les contestataires rassemblés à l'appel entre autres de l'Union Régionale du Travail de Sfax.
Qu'est-ce qu'on reproche à la nouvelle délégation ?
Nombreux observateurs considèrent que la délégation spéciale dissoute qui avait géré depuis un an la municipalité de Sfax était désignée après concertation de la société civile sur « des critères de compétence, d'intégrité et de neutralité politique ». Ce Conseil a été dissout par le Gouvernement actuel, bien que sa gestion des affaires de la ville ne fût pas aussi catastrophique, chose qui pourrait justifier l'opération de dissolution. Dr Mohamed Aloulou affirme sur les colonnes de Leaders que cette décision est «un déni de la légitimité locale qui, à défaut d'élections municipales, ne peut être que consensuelle, comme ce fut le cas pour le choix du précédent Conseil ». Il y a un refus prononcé de l'amalgame entre pouvoir de la Constituante et légitimité des conseils municipaux.
La Voie Démocratique et Sociale plus connue sous le nom Al-Massar considère que la recomposition des délégations spéciales à Sfax, Sakiet Eddayer, Chihya et Kerkena après qu'elles avaient bénéficié d'une prolongation conformément à l'arrêté N°910 daté du 2 août 2012 signé par le chef du Gouvernement provisoire, prête à équivoque. Al-Massar s'étonne de cette décision qui présente un recul et un retour en arrière par rapport à l'arrêté du 2 août. Elle suppose une intention claire de dominer l'action municipale. « L'installation de la nouvelle délégation consacre un retour à la dictature à travers la non reconnaissance de l'autonomie et l'indépendance des affaires locales qu'on tient à soumettre au pouvoir étatique central, éternisant le pouvoir qu'exerce le gouvernorat sur les municipalités et l'autorité du ministère de l'Intérieur sur la vie quotidienne des citoyens».
Al-Massar, le Parti Républicain (Al-Joumhouri), le Pôle Démocratique Moderniste (Al-Qotb), la coordination locale du courant réformateur et le Front populaire ont signé un communiqué commun dans lequel ils dénoncent le « putsch » qui a eu lieu contre les délégations spéciales à Sfax. Ils considèrent qu'Ennahdha poursuit son action de domination des structures de l'Etat, en attendant les prochaines élections.
Les détracteurs de la nouvelle délégation spéciale lui reprochent le fait qu'elle ait été formée sur la base de répartition partisane des parts. Ils demandent à l'Assemblée Nationale Constituante de mentionner dans la nouvelle Constitution que la municipalité est un pouvoir à par entière et non une simple structure fonctionnelle.
Là les militants d'Al-Massar posent le problème de la décentralisation et des instances régionales.
Certains juristes considèrent que donner un vrai pouvoir aux collectivités locales permettra, peut-être, de réduire les inégalités régionales. Dans le chapitre collectivités locales, le brouillon de la Constitution est en rupture avec la Constitution de 1959. « On ne parle plus de wilaya (gouvernorat) mais on parle de jiha (région) ». L'organisation des pouvoirs locaux nécessitera un nouveau découpage territorial.
Pour la première fois, les collectivités locales pourront exercer leurs pouvoirs et tenir leur légitimité à travers des conseils élus directement. Et ainsi l'on trouve pour la première fois le principe de la démocratie participative. Le citoyen participe directement à la gestion des affaires locales (article 9 du 6ème chapitre). Les conseils locaux peuvent dorénavant organiser des référendums locaux.
Dans le brouillon de la Constitution, le pouvoir local est fondé sur les principes de la décentralisation dans le cadre de l'unité de l'Etat. Cette décentralisation s'exprime dans les collectivités locales formées de municipalités, de régions et de districts couvrant tout le territoire. Ces collectivités bénéficient de la personnalité juridique et de l'autonomie financière et administrative. Elles sont gérées par des conseils élus. Les Conseils des districts sont élus parmi les membres des Conseils locaux et régionaux.
Avec toutes ces avancées prévues dans la prochaine Constitution, pourquoi ne pas préparer les délégations actuelles en consacrant le principe du consensus dans leur gestion ?