Le projet de création d'une société de gestion d'actifs ne fait pas l'unanimité L'endettement des hôteliers constitue un fardeau pour la trésorerie de la profession : les hôteliers, ayant contracté des crédits bancaires, sont, pour la plupart, en retard d'échéances de règlement. On parle de responsabilité partagée et de plusieurs facteurs qui sont à l'origine de tous les maux du secteur (bradage des prix, mauvaise qualité du service...). Qui est le vrai responsable? La mission de l'administration est de défendre l'intérêt général du secteur à travers la mise au point de stratégies en matière de promotion, de communication, de formation... et de proposer parfois des solutions qui, en concertation avec la profession, doivent rester valables et logiques. Toutefois, et selon les professionnels, la situation actuelle est loin d'être claire. Tout reste au stade des cogitations et rien ne prend une forme réelle et définitive. L'une des dernières propositions faites est la création d'une «société de gestion des actifs», une proposition qui ne fait pas l'unanimité. Elle serait même source d'un nouveau flou et d'ambiguïté dans le secteur. M. Mohamed Belajouza, président de la Fédération tunisienne de l'hôtellerie (FTH), nous éclaire sur la position des professionnels. « Qui parle d'endettement du secteur hôtelier en Tunisie sait pertinemment qu'il ne s'agit pas d'une question récente, mais qui a débuté avec le lancement de l'hôtellerie comme activité à part entière dans notre pays. L'hôtellerie est un secteur capitalistique et personne ne peut construire un hôtel à partir de ses fonds propres et même pour apporter les 40% (voire 30 % pour certaines zones à encourager) d'autofinancement nécessaires pour le départ. La création d'une unité hôtelière ne nécessite pas moins de 20 millions de dinars. Qui peut apporter environ 8 millions de dinars de fonds propres pour lancer son projet? L'intervention des banques reste donc nécessaire pour l'emprunt de l'argent», assure M. Mohamed Belajouza, président de la Fédération tunisienne de l'hôtellerie (FTH) qui insiste par ailleurs sur le rôle des banques de développement: «Elles ont été pourtant créées pour cela et nous étions leurs plus gros clients». Le représentant des hôteliers tunisiens explique que «tout allait bien jusqu'au moment où le secteur a rencontré des difficultés liées à des circonstances internationales et nationales. Avant cette crise, pratiquement tous les hôtels avaient une demande nettement supérieure à l'offre et presque tous arrivaient à rembourser leurs dettes. C'est pour cela d'ailleurs, que l'on pensait construire des unités partout sur le territoire, mais sans que personne ne prenne le temps de mettre en place des campagnes promotionnelles adéquates», précise M. Belajouza. Responsabilité partagée Autre problème évoqué par le président de la FTH, la mauvaise gestion de certains hôteliers. «Il n'y a pas eu que de bons gestionnaires d'hôtels en Tunisie. Les meilleurs sont parvenus à assurer leurs engagements auprès des banques alors que d'autres n'ont pas su utiliser les crédits. Cette situation avait persisté et ces causes produisaient toujours les même effets, jusqu'aux évènements du 11 septembre aux USA et ceux de Djerba qui nous ont fait perdre 600 mille touristes allemands que nous n'avons jamais réussi à récupérer. Plusieurs autres évènements se sont aussi succédé durant les années 2000, alors que d'autres unités hôtelières continuaient à voir le jour, sans études préalables... » Il ajoute : «L'image du produit tunisien, qui reste basée sur le sable, le soleil et la mer, ne suffit plus aux marchés émetteurs qui se trouvent devant des choix de nouvelles destinations qui s'ouvrent à eux et qui proposent des produits meilleurs, à savoir la Turquie et le Maroc ou encore les pays de l'Est, qui restent des destinations proches pour nos clients traditionnels comme les Allemands... Il faut dire également que nous étions dans une période où la qualité du service au sein de nos unités hôtelières se dégradait». Les raisons se sont donc multipliées et ont aggravé la situation de l'endettement des hôtels. Ce problème a été évoqué à plusieurs reprises avec les plus hautes sphères de l'Etat, plusieurs conseils ministériels ont été consacrés au secteur du tourisme en général, et «plusieurs décisions ont été prises, mais rien n'a été fait», déclare M. Belajouza. «A notre niveau et en tant que fédération nous sommes plus que préoccupés par la situation. Nous avons eu plusieurs réunions avec la Banque centrale de Tunisie, la dernière remonte au temps de M. Taoufik Baccar et qui a regroupé plusieurs banques privées et publiques. Lors de telles réunions, plusieurs solutions ont été proposées, mais aucune n'a vu le jour. Et je considère qu'elles n'ont pas été appliquées à cause de l'absence de volonté politique, alors que le secteur avait besoin de décisions réalistes, fermes et rapides », insiste M. Belajouza A cette époque-là, l'endettement s'élevait, selon le président de la FTH, à 700 milliards. «Entre-temps, le compteur continue de tourner avec une évolution annuelle de 13% à 14 % et des pic de 17 %. Actuellement, personne ne connaît le chiffre exact de la dette du secteur hôtelier, sauf la Banque centrale et, bien évidemment, les banques concernées. Nous croyons savoir que le montant avoisinerait les 3 mille milliards. Ce chiffre est effrayant et s'il traduit la réalité de la situation, les banques sont sûres de ne plus jamais récupérer cet argent et les hôteliers savent également qu'il leur est difficile de payer en ces temps de crise. Les chiffres annoncés ne font pas la distinction entre impayés et encours, c'est tout simplement l'ensemble de la créance ». M. Belajouza se demande «quelle a été la part réelle que les promoteurs ont touché, quel a été le principal de la dette et quel est le montant des intérêts. Tout cela n'est pas clair pour nous». Nouveau mécanisme ? D'après une étude faite par la FTH, sous la direction de Mme Néjiba Chouk, expert comptable, commissaire aux comptes des sociétés, les banques tunisiennes n'ont pas joué le jeu pour remédier aux problèmes de financement. Elle nous cite certains exemples qui démontrent une infraction à la loi de la part des banques. «Les banques n'ont pas le droit de percevoir d'avance les intérêts des prêts accordés aux établissements hôteliers. Les contrats de crédits établis par les banques de développement stipulent le paiement des intérêts d'avance, et ce, en infraction aux dispositions de l'article 35 de la circulaire de la BCT no 91-22 du 17 décembre 1991. Cette circulaire dispose que les intérêts des crédits à long terme sont payables à terme échu et décomptés à partir de la date à laquelle le compte du créditeur a été crédité », justifie M. Belajouza qui insiste sur la gravité de la situation. Il ajoute «Cette situation est d'autant plus ambiguë que le banquier a été considéré, dès le départ, associé aux entrepreneurs, car en plus de l'octroi des crédits, il participe ainsi, au capital et à la prise de décisions, puis se place de l'autre côté de la barrière lorsqu'il s'agit d'argent». Selon notre interlocuteur, des hôteliers arrivent à payer quatre fois le montant de leurs crédits (intérêts pris initialement et déduits à l'avance, des pénalités de retard, des crédits de consolidation lorsqu'une entreprise n'arrive pas à payer son premier crédit, ce qui génère de nouveaux problèmes...). «Ce qui ce passe aujourd'hui est que nous avons 600 unités déglinguées car elles n'arrivent plus à assurer une maintenance, elles baissent leurs prix...Tout le secteur est en vraies difficultés, si des solutions rapides et efficaces ne sont pas prises. Malgré tout, il faut préciser qu'heureusement il y a des gens qui sont capables». Pour remédier à cette situation difficile, les hôteliers ont demandé un rééchelonnement des dettes, une baisse du taux d'intérêt (intérêts de départ, intérêts sur intérêts...) «Malheureusement nos demandes n'ont pas eu de suites, mais face à l'inquiétude des hôteliers, la solution qui a été proposée est la création d'un nouveau fonds privé de gestion d'actifs en vue d'absorber les dettes du secteur. Ce fonds existe dans d'autres pays mais n'a jamais été utilisé pour résoudre les problèmes du secteur hôtelier». M. Belajouza insiste qu'à partir de sources officielles, le fonds serait mis en place pour restructurer le secteur banquier et non pour aider les unités touristiques. «D'ailleurs, nous n'étions pas invités à assister à la commission de constitution de ce mécanisme alors que le ministère du Tourisme y avait assisté. Je juge que le ministère n'est pas représentatif de notre secteur, la FTH est le seul porte-parole des hôteliers et c'est seulement elle qui peut traduire les inquiétudes, les vrais problèmes et les solutions de la profession ». Ce qu'avaient entendu les professionnels du secteur de l'hôtellerie, c'est qu'il va y avoir un appel d'offres pour trouver un acquéreur de toute la créance des banques sur le secteur. «Ce fonds agira en société de gestion d'actifs. Il peut ainsi devenir propriétaire des hôtels en termes de gestion, pour les vendre ou les fermer. J'insiste pour redire que personne ne nous a consultés à propos de ce dossier». M. Belajouza croit savoir également que cette société va racheter ces créances à hauteur de 30% seulement et la différence va être assumée par les banques. «Je dirais que s'il y a possibilité de céder 70 % du taux de créance, que les hôteliers soient les premiers à en bénéficier. Nous pouvons former un groupe qui serait disposé à racheter tout en travaillant. En plus, cette instance, nous dit-on, peut être dotée de pouvoirs extraordinaires, car elle peut ne pas obéir à certaines dispositions légales du pays. Cette société sera à ce moment l'interlocuteur de l'hôtelier ». D'après le président de la FTH, la solution est plus facile que l'on croit, il suffit d'appliquer les décisions qui ont été prises depuis quelques années et dans lesquelles ont été impliqués les professionnels. «Je vois que toutes ces décisions ont été mises à l'écart. Actuellement, je suis inquiet, car le gouvernement de l'après-révolution n'a pas accordé un seul signe d'intérêt au secteur, sauf dans les discours». D'après la fédération, un vrai danger guette aujourd'hui notre patrimoine hôtelier, qui risque de passer entre les mains d'entreprises étrangères alors que les professionnels ont mis des années pour l'édifier. «Depuis les tout débuts du secteur hôtelier, les professionnels ont été fortement soutenus par l'administration et les choses ont bien avancé. Même durant les périodes de crises, le seul moyen pour dépasser tous les problèmes était le dialogue», chose que regrette M. Belajouza.