Une manifestation culturelle et intellectuelle qui adhère à un programme riche, consolidant le tissage et la continuité entre différentes disciplines, entre linguistique et analyse du discours, littérature et philosophie, cinéma et théâtre. La Tunisie passe par une période bouillonnante, avec plein de moments de tension, de déprime et de spleen, mais cette effervescence est signe aussi de résistance, d'espoir et de courage. Du nord jusqu'aux régions du Sud, de l'est à l'ouest, la Tunisie adopte inlassablement la fameuse et belle devise de Stéphane Hessel qui vient de disparaître : «Créer c'est résister, résister, c'est créer». En fait, cette formule est pleine de sens, d'amour et de volonté; elle réclame des esprits dont l'action est en perpétuel mouvement contre tout ce qui stagne et croupit dans la froideur absolue. Ainsi, chacun dans son domaine appose à sa manière la suite de cette formule. En effet, on sait que la question du sens, dans tous ses sens, est partout présente. A l'image de la vie, le sens est le moteur du monde. D'autant plus qu'il reste toujours un fort intéressant sujet d'actualité et un très bon champ d'investigation, de réflexion et d'analyse. C'est ainsi que l'Institut supérieur des Sciences humaines de Jendouba (Isshj) et le département de Langue, Littérature et Civilisation françaises, en collaboration avec le Laboratoire de recherche Langues, Discours et Cultures relevant du même institut, ont organisé un colloque international dont l'intitulé est: «Sens et Mouvement(s)» à Jendouba du 4 au 6 mars. Cette manifestation culturelle et intellectuelle adhère à un programme riche, consolidant le tissage et la continuité entre différentes disciplines, entre linguistique et analyse du discours, littérature et philosophie, cinéma et théâtre. Plus de cinquante personnes, venues de divers pays, y étaient présentes. Il y avait des chercheurs, des enseignants et des spécialistes en littérature, linguistique et philosophie françaises. Tout l'institut s'est mobilisé pour assurer la disponibilité des étudiants du département de français et leur permettre d'assister intégralement aux journées de ce colloque, ce qui est de nature à les initier à ce genre de manifestations constructives, à créer une ambiance détendue et à favoriser interaction et meilleure communication avec les professeurs. Du langage et des lettres Le colloque était divisé en deux parties distinctes, l'une comportant la linguistique et l'autre la littérature. En ce qui concerne la première, Jacques François, de l'Ecole normale supérieure de Paris et Yacoub Ghrissi, de l'Institut supérieur des Langues de Tunis, ont présenté une approche historique sur les verbes de mouvement, notamment du corps et du cœur. Les premiers expriment originellement le mouvement physique, alors que la deuxième catégorie, c'est-à-dire les verbes du cœur, son emploi reflète contextuellement la sensibilité et le sentimentalisme du XVIIIe siècle. Le verbe s'inscrit ainsi dans un contexte historique et son mouvement se cristallise grâce au paysage qui le représente, c'est le cas justement du mouvement existant dans le discours médiatique. Dans ce sens, Majdi Chaouachi (Isshj) pose la problématique du discours journalistique tunisien qui reflète l'opinion publique postrévolutionnaire, fruit d'un mouvement idéologique. Ce dernier renvoie à un mouvement physique décrit linguistiquement, traduisant une instabilité persistante. Enfin, la linguistique qui paraît une science rigoureuse est, toutefois, une science humaine et donc relative et mouvementée. Elle soutient plusieurs approches nuancées. En effet, Hamida Trabelsi, de l'Institut supérieur des études appliquées en Humanités du Kef, a démontré que l'étude de l'évolution de la préposition vers est importante. L'étymologie de ce mot vient du sens convertir puis est devenu synonyme de contre. Cependant, le sens primaire de ce mot atteste un emploi spatial, c'est-à-dire celui de la direction. Quant au compartiment de la littérature, il a accueilli la littérature française et la littérature francophone. Dans la première, les écrivains des XVIIe, XVIIIe et XIXeè siècles : Flaubert, Zola, Gobineau, Jean Philippe Toussaint, Quigard, Ovide, etc, étaient à l'ordre du jour. On a voyagé dans les Salons de Diderot : «Le tableau vivant», où Lina Babba-El Mekki, de l'Institut supérieur des études appliquées en humanités de Zaghouan, a montré que le critique d'art aménage une signature de subversion dans l'acte de dépassement de la frontière, entre mise en scène et action de la contemplation. On a, enfin, atterri en pleine Lettre de deux amants de Rousseau, entrouverte par Najoua Mtiri de la Faculté des Lettres de Kairouan, qui a étudié l'art de l'estompe chez cet auteur, dans sa mise en action de la correspondance qui assure un mouvement entre le scriptural et le pictural. La littérature francophone, qui déblaie les lisières entre la Tunisie (Abdelwahab Meddeb, Colette Fellous), l'Algérie (Mohamed Dib), le Maroc (Khatibi), la Transylvanie (Lorand Gaspar) et tant d'autres, réclame les traversées et l'errance qui traduisent un intense mouvement dans l'espace. En effet, Wafa Triki (Isshj) a parlé de l'écriture en mouvement dans l'œuvre de Patrick Chamoiseau, écrivain antillais, qui impose un langage métissé où la poétique du divers cherche à ébranler le sens et à l'arracher de la stabilité figée. La poétique du mouvement est également patente dans la métaphysique de Cioran, écrivain et philosophe roumain, aussi sceptique que nihiliste. Aussi Saber Idoudi, de l'Université de Provence Aix-Marseille1, a-t-il voulu montrer la dimension créatrice et esthétique de son œuvre, particulièrement dans le ton ironique qu'il adopte contre le rigorisme et la rigidité du monde des idées. L'éminent et engagé poète palestinien, Mahmoud Darwich, a été lui aussi abordé. Besma Kamoun-Nouairi (Isshj) a exposé, en images et en poèmes, l'instantané représentatif chez lui, en intégrant l'image poétique en sens et mouvement dans Etat de siège. Reconnaissances... En s'intéressant aux romans, aux poèmes et aux œuvres philosophiques, le colloque n'a pas occulté les arts audiovisuels comme la photographie, le cinéma et leurs connexions soudées à la littérature. Des personnages emblématiques, comme Jeanne d'Arc, qui ont contribué à l'écriture de l'histoire, ont été réhabilités grâce au cinéma qui leur a rendu, ce faisant, hommage. Rim Taga Gabsi a, en effet, proposé une lecture, appuyée par des projections de séquences de films de Dreyer, Bresson, Rossellini et Besson, où la dialectique entre sens historique et mouvement de l'âme est paradoxale. Le colloque a clos ses journées sur une note chargée d'émotion, avec le club de théâtre, dirigé par Rim Taga Gabsi, qui a donné une représentation du Cid de Corneille, dans une version orientale. Simple et comique, la pièce est divertissante. Les comédiens qui y jouaient pour la première fois ont dégagé une énergie et une sensibilité captivantes. Tout le monde en est sorti ému, les larmes coulaient des yeux des étudiants et des professeurs. L'ambiance a été agréable, malgré l'indigence du spectacle qui a été préparé avec les moyens du bord. Ce colloque, riche à l'image de la pluralité et la diversité des communications, a prouvé, en somme, que les frontières entre les disciplines sont inexistantes, tant que l'élan d'aller vers l'Autre existe; un élan qui dégage des sens pleins de mouvement et un mouvement qui réclame constamment les sens de la vie.