Le rapport entre la croissance du revenu disponible brut des ménages et l'augmentation de l'indice des prix à la consommation accuse un grand déséquilibre Deux ans après la révolution, les Tunisiens moyens peinent à survivre. La hausse vertigineuse des prix des produits à la consommation y est pour beaucoup. Les ménages ne mangent plus sain et ne s'habillent guère comme auparavant. Les loisirs, n'en parlons plus. C'est devenu un luxe réservé à une classe sociale généreusement avantagée. Comment expliquer cette dégringolade? Réponse de M. Tarek Ben Jazia, directeur des Etudes et des analyses et essais comparatifs à l'Institut national de la consommation. Comme il le confirme, à l'origine de la précarité, il y a une inflation qui a continué à grimper d'une manière inquiétante, puisqu'elle était de 3.3% en 2011 avant d'atteindre 5.5% en 2012 et 6% en janvier 2013. « Un niveau jamais atteint en Tunisie », d'ailleurs. M. Ben Jazia tire la sonnette d'alarme, soulignant que certains analystes estiment qu'on peut atteindre une inflation à deux chiffres. Il affirme également qu'alors que l'inflation a connu une augmentation significative, plusieurs salaires sont restés les mêmes. Pour les salaires qui ont connu une quelconque augmentation, la production et la productivité des bénéficiaires de l'augmentation n'ont pas évolué. Ce qui a contribué à la hausse du taux d'inflation, affectant sensiblement le pouvoir d'achat. Lequel pouvoir d'achat a enregistré une baisse sensible au cours des dernières années. En effet, après une hausse moyenne de 4% durant la période 2001-2010, le pouvoir d'achat a accusé une baisse sensible et les causes ne sont pas à ignorer. Selon le même analyste, le rapport entre la croissance du revenu disponible brut des ménages et l'augmentation de l'indice des prix à la consommation accuse un grand déséquilibre. Tout au plus, les revenus des ménages ont baissé ou stagné à cause de la hausse du chômage, sachant que le taux est passé, entre 2011 et 2012, de 500 mille chômeurs à plus de 770 mille et plusieurs foyers se sont trouvés sans revenus. Contrebande et repli du dinar S'attardant sur les dessous de la hausse des prix des produits à la consommation, notre interlocuteur met en exergue l'augmentation du coût de la production sans qu'il y ait une croissance de son volume. Il met également en cause la hausse des prix des hydrocarbures et autres intrants dans la production. Parmi les raisons de l'inflation, figure également selon le même interlocuteur le taux de change, puisque le dinar tunisien a connu un net repli face aux principales monnaies d'échanges tels le dollar et l'euro. Ce qui a eu un impact direct sur le coût des matières premières, des produits semi- finis et des équipements nécessaires à l'appareil productif. S'y ajoute consécutivement la contrebande, comme fléau qui a largement perturbé l'approvisionnement du marché local et créé des insuffisances constituant un terrain fertile à la spéculation. D'autant plus que les prix offerts par les pays voisins sont très attractifs par rapport aux prix de vente sur le marché local. Dans la même perspective, le même analyste pointe du doigt le dysfonctionnement des circuits de distribution, étant donné que depuis le mois de janvier 2011, «ces circuits ne fonctionnent pas normalement et le marché parallèle s'est nettement développé. Ce qui entrave la transparence des opérations commerciales». Abondant dans le même sens, il rattache l'inflation à la pression subie par les équipes de contrôle économiques relevant du ministère du Commerce et de l'Artisanat. «Des équipes qui ont effectué un travail remarquable depuis la révolution, fortes en cela d'une grande détermination à servir la cause des classes démunies, mais qui n'ont pas pu tenir le cap, ayant été la cible de plusieurs fraudeurs et récalcitrants». Boycott, une culture qui nous manque Sur un autre plan, l'expert analyste de l'INC affirme que la situation en Libye a affecté le rythme de l'approvisionnement en Tunisie. L'on parle de ce fait des 500 mille Libyens venus en Tunisie pour fouir une situation instable chez eux. Ce qui génère une pression supplémentaire sur l'approvisionnement du marché local. «Nos frères libyens sont toujours les bienvenus, mais il aurait fallu prendre en considération ce flux afin de mieux estimer les quantités qu'il faut pour l'approvisionnement des marchés ». La baisse de la production qui se veut, elle aussi, à l'origine de l'inflation est étroitement liée, selon M.Ben Jazia, aux manifestations et aux sit-in et grèves ayant secoué le pays. Tout autant qu'à une agriculture qui n'arrive pas à assurer l'autosuffisance du pays, car empreinte de lacunes (manque de productivité, main-d'œuvre non qualifiée, morcellement des terres,...). D'où le recours à l'importation. La conduite de bon nombre de consommateurs s'avère, au demeurant, dans le collimateur de l'analyste. Comme il l'entend, l'affluence sur certains produits, qui peuvent être l'objet d'une pénurie, contribue à la spéculation et à la perturbation de l'approvisionnement. «Le cas est applicable aux secteurs du lait et des eaux minérales ayant récemment connu une perturbation d'approvisionnement». Pour lui, la fièvre acheteuse et l'absence de la culture de boycott chez les consommateurs tunisiens favorisent la hausse des prix de certains produits et encouragent les spéculateurs. Bilan : une hausse insupportable des prix et des ménages en détresse.