Skander Naâs est l'initiateur et le président de ce festival du cinéma russe dont la troisième édition sera clôturée aujourd'hui dimanche 7 avril, à Sousse, pour se déplacer à Tunis, à la maison de la culture Ibn Rachiq et à la MC Ibn Khaldoun, du 13 au 20 de ce mois. Quand on le rencontre pour la première fois, on a tendance à le prendre pour une personne imbue d'elle-même. Il a cette manière «expéditive» de répondre à une demande d'entretien journalistique, ce ton détaché et cette façon de vous regarder droit dans les yeux, sans le moindre sourire. Mais il suffit de jeter un coup d'œil sur son CV et d'oublier qu'il vous a déjà posé un lapin au premier rendez-vous, pour découvrir un jeune homme plutôt confiant, affirmé, proactif, assez mûr pour son âge (la trentaine) et qui n'a pas peur de l'inconnu. Né dans une famille de médecins, Skander part en France pour prolonger la lignée. Deux semaines d'études lui suffisent pour comprendre qu'il n'est pas fait pour la médecine. C'est le métier de metteur en scène qui l'intéresse. Après avoir passé une année dans une école d'arts et de spectacles, il se rend compte que le programme d'enseignement n'est pas à son goût et que «le niveau est banal». C'est ainsi qu'il prend ses clics et ses clacs pour partir plus loin, direction la Russie. Tels pères tels fils Il s'inscrit au «Vgik», le prestigieux institut d'études cinématographiques de Moscou, un établissement d'enseignement professionnel supérieur, formant aux nombreux métiers du cinéma, de la vidéo et de la télévision. Il pouvait y obtenir un diplôme de comédien, de scénariste, de technicien, ou même de critique ou de théoricien. Mais il a fini par réaliser son rêve : devenir réalisateur et, pourquoi pas, producteur. Car le jeune artiste se sent porteur de projets. Au Vgik, il était sûr de trouver son compte. Celle qui fut la première école de cinéma au monde, ouverte en 1919 pour former les nouveaux réalisateurs du cinéma révolutionnaire, en a vu passer des grands. D'Eisenstein qui a créé le premier cours de mise en scène cinématographique, à Andrei Tarkovski, qui y a poursuivi ses études, jusqu'à Soukourov et Paradjanov qui figurent parmi les anciens de l'Ecole de Moscou. D'ailleurs, le rayonnement du Vgik n'a pas faibli après la chute de l'Union Soviétique. Aujourd'hui, plus de 200 enseignants-chercheurs y travaillent et un festival d'étudiants y est organisé chaque année. En lisant l'histoire du cinéma russe, nous comprenons que la nouvelle génération de cinéastes, dont les films nous ont impressionnés lors de la semaine passée à Sousse, ne viennent pas de nulle part. L'héritage cinématographique se sent. Tels pères tels fils. Le festival, à refaire Skander Naâs, quant à lui, a déjà commencé à faire ses preuves. Il a produit une dizaine de longs métrages et en a réalisé un premier sur la vie de l'écrivain russe Nikolaï Gogol. En attendant de présenter son film au public tunisien, il a bien voulu nous parler du sens qu'il donne à ce festival du cinéma russe en Tunisie. Pour lui, il est très important de montrer les films russes aux Tunisiens. Cela ne peut qu'enrichir notre culture cinématographique. Et puis, ce festival est une occasion pour jeter les ponts entre les deux pays. Il avoue qu'au début, lors des premières démarches, les Russes n'y croyaient pas tellement. Ce n'est que lorsque le grand Karen Shaknazarov, réalisateur et président directeur de «Mosfilm», le Hollywood russe, a dit oui, que les autres ont compris que cela valait la peine de s'impliquer dans l'évènement. Le feed back de la première édition était positif. Les échos du festival dans la presse tunisienne et les impressions des grands noms invités ont été encourageants. C'est ainsi qu'on a poursuivi l'aventure et que ses partenaires russes ont continué à donner leurs films récents, à titre gracieux. «Des cinéastes sont même venus tourner en Tunisie», nous apprend le jeune directeur de la Semaine du film russe. Ce festival a constitué un déclic. Aux décors naturels de la Thaïlande et de l'Italie, ils se sont dit : «Pourquoi ne pas ajouter les paysages avantageux de ce petit pays et sa lumière unique ?». Le prestataire de service n'était autre que «NFS Films» (Naâs Film Society), un nom inspiré du jargon médical. Ce festival a donc un double objectif. En plus de faire découvrir aux Tunisiens le renouveau en matière de cinématographie russe, il fait connaître aux Russes la Tunisie et les différentes possibilités de collaboration en matière culturelle et économique. Mais, selon le producteur tunisien, «il faut mettre le paquet» pour que le pont soit jeté et d'une manière efficace. Jusque-là, au niveau tunisien, l'initiative demeure individuelle. «Nous n'avons eu que des promesses pour le financement de cette manifestation. Il a fallu organiser ce festival avec nos propres moyens ; seules deux compagnies aériennes ont eu la gentillesse de soulager notre budget avec quelques billets». Un bilan s'impose, ajoute Skander Naâs qui avoue, quand même, que malgré toutes les difficultés, il est prêt à recommencer. En attendant la prochaine édition qui se tiendra encore une fois à Sousse, le cinéaste doit retourner en Russie, son deuxième pays, pour entamer les préparatifs d'un long métrage et d'une série pour la télévision.