Par Hamma HANACHI Vendredi, rencontre marathon sur le mécénat au Musée du Bardo. Le lendemain, en post-colloque, une visite des galeries de la banlieue nord, les invités, algérien, libanais, français sont étonnés de la vigueur des arts plastiques, un nouvel espace ouvre à Sidi Bou Saïd, l'architecture est moderne, conçue pour une galerie, il abrite une exposition de Amel Bennys, intitulée TGM, des œuvres abstraites, de haute facture, une esthétique élaborée combinée aux éléments du quotidien, la galerie voisine, Le Violon bleu, Tahar Mghedmini expose ses tableaux récents et anciens, les bleus sublimes, qui lui appartiennent, des personnages en pose ou en mouvement, des barques, et une lumière arrêtée, crépusculaire. Visite à la galerie Gorgi, Rym Karoui y montre ses scènes hilarantes, beaucoup de couleurs éclatantes, personnages profilés en folies, silhouettes distendues, déformées, des visages en rires ou en pleurs, nouvelle figuration libre, droit venue de chez Di Rosa, Combas ou Royo. En descendant la colline, beau temps et, chemin faisant, une conversation avec l'un des invités, affable et cultivé, il est sidéré par la force de la vie artistique. Au courant des événements qui secouent le pays, il a suivi l'actualité de ce samedi, environnement social sombre, des salafistes installent des tentes pour diffuser leurs prêches haineux et enflammer la rue, appels à la violence, heurts et accrochages avec les policiers ; inévitablement, la discussion tourne autour de la politique. Il nous avoue avoir peur pour le pays, lui qui a fui le sien à cause de la guerre civile d'Algérie. A la galerie Cherif Fine Art, une expo de sculptures et de céramiques de haut vol, «Vivre-ensemble », un titre qui appelle la paix. Rencontre avec Hamadi Cherif, qui montre le catalogue de l'exposition, Otto Dix à Djerba. « Des originaux ? », s'interrogent les hôtes, « Absolument ! », Consternation! La question prévisible claque en l'air, « le coût des assurances ? ». La réponse les assomme, c'est l'Etat allemand, notamment à travers le Goethe Institut qui prend en charge les frais. Trouble et saisissement chez deux parmi les invités, et pas des moindres, l'un est directeur exécutif de l'Arab Fund For Art And Culture (AFAK), consultant de plusieurs fondations et de collectionneurs privés, autant dire un décideur, un poids lourd, l'autre est curateur, directeur de la Biennale de Lyon, ils n'ont pas rencontré un pareil exemple dans leur expérience. Le surlendemain, on apprend que le Département d'Etat américain classe notre pays dans la catégorie des pays à haut risque au même titre que le Soudan ou la Somalie, un classement établi avant les dramatiques épisodes du mont Echâambi, nous n'en revenons pas, incroyable, comment et à quelle vitesse, la Tunisie est tombée si bas? Et avec ça, il se trouve des prosélytes qui creusent encore le fossé. Pas un instant, on aurait imaginé notre pays s'écrouler en si peu de temps. Résultat, nous nous sommes trouvés dans une tempête à laquelle nous ne nous sommes pas préparés. Tristesse et désolation. Situation paradoxale, inédite en Tunisie, sur une planète, temps incertains, climat politique trouble, ambiance sociale décourageante, économie où personne ne miserait un dinar même dévalué sur l'art, sur l'autre planète, une vie culturelle riche, vivante, la rue qui frémit, beaucoup d'expositions, un bouquet de festivals , des jeunes dansent dans la rue, des films documentaires à Tunis, un défilé de mode ; une vaste campagne « Pour la Tunisie qu'on aime » fait un tabac au Théâtre municipal en attendant l'Olympia en juin, de grands collectionneurs allemands qui prêtent leurs tableaux de valeur, en toute confiance à un galeriste (l'amitié a encore un sens), une institution qui les assure, ça donne le tournis, insouciance ou résistance ? Les deux, à notre avis, vu que l'une se nourrit de l'autre. Optimisme et joie de vivre. Des correspondances (mails) nous arrivent d'amis algériens, on suppose qu'on n'est pas les seuls à en recevoir. Tous nos voisins suivent pas à pas la situation au mont frontalier d'Echâambi, s'inquiètent de la situation, laquelle, à bien des égards, leur rappelle la sanglante décennie des années 90. Symptômes : défi de la loi et de l'Etat. La menace dirigée contre l'appareil sécuritaire devient le fer de lance des fanatiques religieux, des extrémistes déclarés sont invités sur les plateaux télé, ils annoncent sans crainte leurs funestes projets et développent leur idéologie. Les événements continuent à nous bousculer, des journaux risquent des rapprochements de la situation, nourrie de violence et de peur, avec celle qui prévalait chez nos voisins. On lit, ici et là, sans trop de conviction, des éditos, des analyses pleine page qui évaluent, jaugent les faits et supputent les conséquences. Mais, à ce jeu, ici, comme ailleurs, l'énergie créatrice finira par triompher de la barbarie.