Il y a un mythe qui consiste à croire que le chômage ne peut être combattu que moyennant une forte croissance. Il n'en fallait pas plus pour que nos dirigeants se dédouanent de toute responsabilité devant la situation de l'emploi en Tunisie, qui ne pourrait, selon eux, s'améliorer qu'avec un taux de croissance de plus de 7% voire 8%. Dès lors, dans un contexte économique tendu et une transition politique qui n'en finit pas, l'absence d'emploi semble devenir une fatalité. Pourtant, d'autres pays ont prouvé que même avec une croissance relativement molle, le chômage, s'il ne peut être totalement combattu, peut être réduit de manière significative. L'exemple le plus spectaculaire est l'Autriche. Voilà un pays au milieu de la région la plus sévèrement touchée par la crise et qui parvient tout de même à avoir un taux de chômage de moins de 4, 5% pour un taux de croissance du PIB de 0.9% en 2012. La recette à cela, un modèle mariant flexibilité et apprentissage où, d'un côté, l'employeur peut licencier sans motif ses employés et modérer les salaires en cas de baisse d'activité (ce qui a eu pour effet, paradoxalement, de décrisper l'embauche) et de l'autre, un programme ambitieux de formation à la fois des salariés et des chômeurs, financé principalement par les entreprises. L'Autrichien, durant sa période de vie active, continue de se former, qu'il ait un emploi ou non, sous le contrôle de l'Etat et des syndicats. De plus, les salariés bénéficient depuis 2003 d'un compte épargne individuel alimenté par l'employeur. Ce compte remplace les indemnités en cas de licenciement — et aussi de démission —, et peut être transféré d'une entreprise à une autre, procurant ainsi plus de sécurité aux salariés. Ce modèle est aussi adopté par la Hollande où l'emploi des jeunes est inférieur à 10% (contre 35,6% en Tunisie, 24,2% en France et 16,8% aux Etats-Unis) alors que le pays fut en récession en 2012. Là, on n'hésite plus à renvoyer un jeune sans emploi à l'école pour adapter sa formation aux demandes actuelles du marché. Autre chantre de la flexibilité de l'emploi, l'Allemagne qui a réussi à maintenir un taux de chômage relativement bas grâce à son Kurzarbeit, un programme public en vertu duquel l'employeur et son personnel peuvent convenir de réduire la durée du travail, et donc du salaire, en échange d'un engagement de l'employeur de maintenir les emplois. Cette politique combinant chômage partiel et baisse transitoire des salaires expliquerait plus de 65% du maintien de l'emploi en Allemagne. Un autre facteur du succès allemand est le faible taux des charges patronales combinées à l'absence d'un salaire minimum (n'empêchant pas le pays d'avoir en revanche un salaire moyen plus élevé que celui de son voisin français où existe le salaire minimum). Un peu plus au Nord, le Danemark a fait de la lutte contre le chômage une cause nationale. Le budget emploi (destiné à aider un chômeur à trouver un emploi) n'a cessé d'augmenter ces dernières années. Encore une fois, le pays n'a pas hésité à augmenter les allocations pour les sans-emploi tout en permettant aux entreprises de licencier très vite pour des motifs économiques, ce qui les rassure pour embaucher. Le Danemark est ainsi devenu l'un des pays les plus dynamiques au monde malgré son très fort taux d'imposition, comme le note Forbes magazine dans son classement annuel sur la compétitivité des pays (la Tunisie se trouve à la 67e place sur 134 pays). Une autre raison du succès du modèle danois est l'efficacité du service d'emploi réputé comme étant le plus moderne du monde. L'Europe du Nord n'est pas la seule à innover en matière d'emploi. L'Australie fait figure de championne : au moment le plus fort de la crise économique, le pays n'a jamais enregistré un taux de chômage supérieur à 5.8% de la population active. Outre la forte demande de produits miniers qui, ces dernières années, a soutenu l'économie, le pays a su créer un système innovant et peu coÛteux pour aider les chômeurs à trouver un emploi : il fait appel à des prestataires privés choisis par appels d'offres. Ces sociétés sont même notées publiquement par le gouvernement, créant une compétition entre les différents prestataires de services. Résultat, la performance (et donc les bénéfices) sont calqués sur le nombre d'emplois trouvés. Cette solution a eu pour avantage de créer une compétition entre les « job offices » tout en réduisant la part du coût de l'emploi dans le PIB pour l'Australie. Ces politiques ne sont pas des panacées ; elles requièrent seulement un peu d'imagination et beaucoup de pragmatisme. En revanche, pour pouvoir les mettre en place, les gouvernements ont renforcé la coopération avec les syndicats et les patronats tout en modifiant drastiquement les législations. Dès lors, comment imaginer que le gouvernement tunisien, qui n'a guère réussi à entretenir un climat de confiance ni avec les centrales syndicales ni avec le patronat, puisse trouver les ressources nécessaires pour réformer et améliorer le marché de l'emploi ? Les mouvements de chômeurs qui ont conduit l'Egypte à une nouvelle révolte sont une alerte pour nos dirigeants qui, à trop vouloir ignorer le problème, pourraient se retrouver, à leur tour, sans emploi.