La crise politique sévit. Les responsables gouvernementaux administrent la preuve de leur impuissance à y faire face. Incapables de concevoir une sortie de crise, ils enfoncent davantage le pays dans le marasme. Le dernier sondage américain Gallup révèle la dégradation inouïe de la confiance dans le gouvernement auprès d'un large panel de Tunisiens. Et ledit sondage date du mois de mai. C'est-à-dire bien avant l'assassinat de Mohamed Brahmi et les tueries abjectes de nos militaires au Djebel Chaâmbi qui ont aggravé la méfiance populaire et mobilisé des centaines de milliers de Tunisiens dans la rue. Entretemps, les responsables politiques font comme si de rien n'était. On s'agrippe toujours aux sièges, aux dignités, aux prébendes. Au grand dam des intérêts supérieurs du pays et de ceux du citoyen lambda. Ce qui fait dire à plus d'un, sur un ton on ne peut plus amer : «Nombreux autour des partis, très peu autour de la patrie». La situation actuelle se caractérise par deux phénomènes. Malgré le péril terroriste en la demeure, on constate l'absence d'un chef à même de relever les défis, de mener la bataille et de rassurer les Tunisiens. Ce chef n'est pas forcément un homme. Il pourrait bien être une coalition de partis, une vision, un programme. Or, on a beau chercher, on ne retrouve que des hommes courts, barricadés derrière des enseignes funestes. En second lieu, les dirigeants politiques ont de plus en plus propension à diviser les Tunisiens. Ils sont habités par une bien étrange illusion, celle de compenser l'impuissance par le cheffisme de pacotille. Que n'a-t-on vu des petits leaders en faillite haranguer des troupes de circonstance réunies à la diable sur fond de desseins scabreux. Il en résulte une fragmentation artificielle mais somme toute navrante de l'opinion. Les manœuvres frauduleuses des uns et des autres campent un décor hideux. Des Tunisiens dressés les uns contre les autres, rivalisant dans les registres de l'incivisme et des brutalités verbales et par moments matérielles, voire dans les violences sanglantes et mortelles. Côté créativité politique, les discours se durcissent, eux aussi. Ils se réduisent le plus souvent à un positionnement en creux, incongru, squelettique. A défaut de visions porteuses, on arbore les mauvaises bandières. Avec, dans leur sillage, des slogans non moins grossiers. Cela explique les déprimes diffuses. Les gens doutent, désespèrent, broient du noir. L'angoisse du lendemain est de plus en plus répandue. Les dérives psychologiques et comportementales sont à l'affût. Certains ne se reconnaissent plus, peinent à se regarder dans la glace. Disons-le sans ambages : nous vivons mal messieurs-dames. Nos politiques ont réussi à nous faire piquer tête en avant dans la mal-vie, les divisions, les doutes dévastateurs, les craintes légitimes et les expectatives poignantes. L'actuelle crise survient après celle de l'hiver dernier. On avait dû attendre plus de six mois pour un simple remaniement ministériel. Il en résulta la chute du gouvernement de Hamadi Jebali. Ali Laârayedh, son ministre de l'Intérieur, prit le relais. Il s'enfonce davantage au bout du compte. Son gouvernement est déjà en faillite et il s'entête à faire du surplace. Il n'est même plus dans le temps additionnel. Il est tout simplement dans le temps mort. Et pourtant, il feint de survivre encore dans un cycle végétatif. La crise sévit, la confiance dans le gouvernement fond vertigineusement. Et les responsables politiques s'accrochent à des fauteuils déjà surannés. Ils ne voient que par le petit trou de la serrure. Et, ce faisant, ils s'avèrent incapables de voir grand dans l'immensité du possible. La Tunisie supposée être la nef de la liberté s'apparente parfois à un bateau ivre. Hélas !