Par Abdelhamid GMATI Notre collègue Soufiane Ben Farhat a obtenu gain de cause dans le bras de fer qu'il avait engagé contre le directeur de la station Shems fm. Il retrouvera donc son émission et ses auditeurs à partir de lundi prochain. Et c'est tant mieux, on ne peut que s'en réjouir. Cela ne s'est pas fait sans mal. De fait, il a souffert d'abord psychologiquement et professionnellement d'un licenciement abusif ; ce qui l'a amené à entreprendre une grève de la faim (7 jours) qui l'a visiblement affaibli. Mais on peut évaluer les conséquences de cette menace de mourir, brandie à la face de ses détracteurs et des ennemis de la liberté de presse en Tunisie. Son cri ultime a d'abord été entendu par ses confrères de la station radiophonique qui ont adressé un ultimatum à leur directeur ; puis les innombrables journalistes tunisiens, toutes tendances confondues, ceux de son journal La Presse et ceux d'autres organes ont épousé sa cause qui est aussi la leur et enfin des personnalités politiques, de la société civile et des citoyens lambda d'ici et d'ailleurs lui ont exprimé leur soutien. C'est là que se situe la plus importante victoire : les Tunisiens sont attachés à la liberté de presse. Il y a lieu cependant de s'interroger sur cette vogue de la grève de la faim. Est-elle toujours efficace ? N'y a-t-il pas un autre moyen moins dramatique que cette menace de suicide ? Les députés qui se sont retirés de la Constituante ont menacé de faire une grève de la faim avant de la remettre à plus tard, en attendant les résultats des derniers efforts entrepris par le quartet qui essaie de faire aboutir le dialogue national et de sortir de la crise qui perdure depuis des semaines. Le but avoué est de se faire entendre par la Troïka au pouvoir qui se complaît dans son autisme et ignore les manifestations populaires et les sit-in de milliers de Tunisiens qui, depuis des mois, crient leurs revendications. Ce jeûne volontaire entrepris pour se faire entendre, pour dénoncer une injustice, pour protester, pour revendiquer, pour obtenir la satisfaction de demandes personnelles ou collectives date de plus d'un siècle et il a été pratiqué de différentes façons par des personnalités célèbres, comme Gandhi, ou des citoyens lambda. Chez nous aussi il y a eu des grévistes de la faim, du temps de Ben Ali (entre autres lors du Sommet mondial de l'information en 2005, Hamma Hammami, Samir Dilou ou Radhia Nasraoui en 2002, Hamadi Jebali en 2003, Mohamed Abbou en 2006, Slim Boukhdir en 2008, Taoufik Ben Brik en 2009, Fahem Boudabbous en 2010, Néjib Chebbi en 2010 etc.) mais aussi et surtout depuis la révolution. Citons-en quelques-uns : les députés Iyed Dahmani à Siliana, feu Mohamed Brahmi, Ahmed Kaskhoussi en 2012, tout un lot de journalistes comme Sami Fehri, les journalistes de Dar Essabah, le directeur du journal Ettounsia et un ensemble de travailleurs et d'employés de plusieurs sociétés nationales et même des prisonniers...La liste n'est nullement exhaustive. Les résultats de ces «affamés volontaires» ont été mitigés et n'ont pas toujours abouti positivement. On a déploré des morts des suites de ces grèves. C'est que ces grévistes mettent leur santé et leur vie en danger. L'être humain peut s'abstenir de manger pendant 70 à 80 jours selon son état de santé et sa corpulence. Mais il ne peut se passer d'eau que quelques jours. Dans une grève sauvage, le gréviste s'abstient même de boire et là les risques sont grands. Et une grève de la faim laisse toujours des séquelles sur la santé. On s'interroge alors sur le bien-fondé d'une telle décision. On le sait : une grève de la faim vise à mobiliser l'opinion publique pour faire pression sur les pouvoirs en place. Cela est valable dans des régimes démocratiques très sensibles à l'opinion publique. Mais sous les dictatures qui sont autistes aux revendications populaires, cette mesure devient questionnable. Le gourou du mouvement Ennahdha avait déclaré que les deux prisonniers grévistes de la faim qui venaient de mourir «avaient commis un péché». Aucune compassion. Le secrétaire général du syndicat des établissements pénitentiaires, Walid Zarrouk, a été incarcéré pour avoir dit certaines choses sur la sécurité et certains magistrats, a annoncé une grève de la faim sauvage. Sera-t-il entendu ? Dans le cas de notre confrère Soufiane Ben Farhat, disons qu'il l'a échappé belle et aurait pu, en continuant à s'affamer, donner satisfaction à ses ennemis qui n'ont pas hésité à le menacer de mort. Et ils auraient réussi à le faire taire. Nos députés qui ont le courage de dire non à la dictature et à la destruction du pays, devraient réfléchir avant de mettre leur santé en danger. La meilleure façon d'obtenir satisfaction à leurs revendications partagées par des milliers de Tunisiens est de continuer la lutte et de mobiliser toutes leurs énergies et tous leurs moyens. Le chantage à la vie ne peut que satisfaire ceux qui veulent faire taire les voix discordantes.