Nous réclamons, aujourd'hui, que soient définitivement abrogés tous les décrets-lois portant nomination, désignation et prolongation d'activités de magistrats... Suite à l'appel de leurs structures professionnelles et syndicales, les magistrats tunisiens sont entrés, hier, en grève générale. Soit la deuxième en moins de deux semaines. Ce débrayage se poursuit durant la journée d'aujourd'hui dans tous les tribunaux du pays. Les magistrats protestent contre ce qu'ils qualifient d'ingérence aveugle, de la part du ministère de tutelle, dans les prérogatives de leur Instance provisoire de l'ordre judiciaire. D'autant plus que cette dernière est considérée comme l'un des acquis de la Révolution du 14 janvier, tout comme l'indépendance de la justice, qui est aussi une de ses revendications principales. Pour Mme Raoudha Karafi, vice-présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), nul ne peut imaginer que le corps de la magistrature accepte de se retrouver aux antipodes des exigences de l'autonomie. Or, selon elle, l'autorité judiciaire s'attaque à tous ces principes, portant atteinte à l'image d'un secteur qu'on croyait libéré du carcan du népotisme et de l'allégeance politique. «Et bien que cette nouvelle instance de l'ordre judiciaire ait été instituée, fruit de longues années de militantisme, l'actuel ministre de la Justice n'en finit pas de reconduire d'anciennes pratiques censées être révolues depuis l'ère de la dictature, à savoir l'instrumentalisation politique et l'asservissement d'un corps de métiers. Il y a ici une volonté de mettre au pas tout un système judiciaire», a-t-elle déclaré, reprochant au ministère son immixtion dans les affaires internes de ladite instance. Le ministre est donc pointé du doigt. Les magistrats lui font assumer toute la responsabilité des dernières nominations et mutations opérées dans le corps de métiers. « Nous réclamons, aujourd'hui, que soient définitivement abrogés tous les décrets-lois portant nomination, désignation et prolongation d'activités de magistrats. Ces lois caduques ont normalement cessé d'être en vigueur après la création de l'Instance provisoire de l'ordre Judiciaire», indique Mme Karafi. M. Nadhir Ben Ammou, ministre de la Justice, ne semble pas l'entendre de cette oreille. Il ne reconnaît même pas, semble-t-il, les pleines attributions de ladite instance, en ce qui concerne les nominations, ainsi que ses pouvoirs de proposition en ce qui concerne les hauts postes, en fonction des critères de compétence, de transparence, d'impartialité et d'intégrité. « Le phénomène de l'opportunisme et du clientélisme continue à sévir dans les rouages du système judiciaire», dénonce Mme Karafi. La vice-présidente de l'AMT, dans ce contexte, confie que les mouvements de protestation vont continuer de plus belle, tant que ces nominations ne sont pas revues. A l'instar de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (Ltdh), l'Observatoire national pour l'indépendance de la magistrature a réaffirmé son soutien aux revendications de la profession. M. Baligh Abbassi, membre du comité directeur dudit observatoire, se déclare solidaire de ses collègues dans leur combat pour l'indépendance judiciaire. Mme Karafi n'hésite pas enfin à déclarer que le recours à l'international est envisagé, afin de faire connaître les revendications des magistrats et d'attirer l'attention des organisations militantes sur les abus du pouvoir politique.