S'il est familier à ceux parmi nous qui ont roulé leur bosse et assez voyagé (surtout à Palerme, Naples, Istanbul, etc.), le meublé pour courte durée semble, par contre, plus ou moins étranger aux autres. Le créneau s'adressant généralement à l'étranger et non pas à l'autochtone. Pour leur part, nos médias n'en ont jusqu'ici parlé que par ricochet, à travers la rubrique des faits divers. Tantôt à l'occasion de la défenestration, du haut d'une bâtisse, d'une fille de joie, au terme d'une tapageuse orgie, organisée par certains friands fous du plaisir de la chair, généralement venus d'ailleurs. Et tantôt, le lendemain d'une descente de police et d'une perquisition opérée, dans ces lieux, à l'occasion du démantèlement d'un réseau de trafic de divers genres (drogue, devises, etc). La grogne des hôteliers Cela dit, on va tout de suite découvrir ensemble et zoomer sur ce bon petit créneau qui fait son petit bonhomme de chemin depuis de longues décennies. Et évolue à pas de géant sans beaucoup de bruit. Pour nourrir la bouche d'un nombre grandissant de nécessiteux, provoquant de temps à autre une vague de colère et de protestations des hôteliers. Ceux-ci se réclamant frustrés par la concurrence dite déloyale de ces résidences meublées, leur causant un sérieux manque à gagner. Du coup, des campagnes policières sont lancés et des PV sont dressés contre les propriétaires concernés. Juste de la poudre aux yeux. De quoi calmer les esprits surchauffés. Et bien malin celui qui se hasarderait à avancer quelconque statistique sur ce parc, à vue d'œil, gigantesque. Pour la simple raison que ce beau monde opère dans le noir et baigne constamment dans une clandestinité quasi-légalisée par le silence officiel presque complet... Un sacré coin, pour les clandestins! Par les temps qui courent où le terrorisme nous donne des frissons et nous saisit aux tripes, ce secteur, qui fait vivre un effectif considérable de «zouaoula», pose deux problèmes parce qu'il n'est pas maîtrisé. D'abord sécuritaire : Ces locaux pourraient servir de refuges «sécurisants» pour les terroristes et les personnes recherchées pour divers délits de droit commun. Les individus à risques fuient systématiquement l'hôtel où ils sont soigneusement fichés, systématiquement repérés et exposés au risque d'être «coffrés». Alors qu'ailleurs, dans ces logis privés, leurs séjours et leurs allées et venues passent généralement inaperçus. Les étrangers étant très rarement déclarés aux autorités. Et les autochtones étant, bien sûr, dispensés de cette formalité. Ensuite un problème d'ordre moral: Oui, côté mœurs, ce créneau n'est pas aussi sans inconvénient. Parce que certains exploitants, pour qui l'argent n'a pas d'odeur, n'hésitent guère à accueillir à bras ouverts les «Rodrigue et les Chimène», en quête d'intimité, pour leur permettre d'effeuiller allègrement la marguerite et «s'amouracher» en toute tranquillité... Les tarifs pratiqués ne sont pas donnés. Ils varient généralement selon le nombre d'heures et de nuitées et aussi, selon le standing et l'emplacement du logis proposé. Au trot... au galop... Cela dit, le créneau du meublé pour courte durée, a vu le jour depuis que nos frères libyens nous ont dit massivement bonjour. Pour se faire soigner à grands frais, auprès de nos premières polycliniques privées, timidement injectées dans nos paisibles contrées, à commencer par celles d'El Manar. Leur souci de santé ayant toujours été, comme on le sait, le cadet souci de leur feu colonel mal aimé. Même pour une simple rage de dents, nos voisins, plus ou moins aisés, courent vers nous, au trot... au galop... pour calmer vite leurs maux... Because... une jalousie de tigre... Et comme nos fidèles visiteurs sont éternellement fidèles à leurs us et coutumes et habités par une jalousie ancestrale de tigre, ils ne trouvent leur aise que dans un local meublé, derrière des portes et fenêtres hermétiquement fermées. Où leurs sacro-saintes «douces moitiés» sont tenues à l'abri de toute tentation masculine et du simple regard indiscret. A la différence de l'hôtel ouvert aux quatre vents de l'intrusion. Où l'intimité familiale et conjugale est brisée et violée à tout bout de champ, depuis le salon de réception... jusqu'au restaurant. Et où aussi, ils sont privés de leurs réunions familiales, accroupis autour de leurs brûleurs au gaz butane et leurs sacrées théières pour siroter allégrement leur breuvage rouge noirâtre, désiré de tous leurs êtres et presque leur raison d'être ! Des garages... des suites, ensuite C'est sur le littoral que le parc a poussé, fleuri et prospéré dans l'ombre. Tout a commencé dans les années 1980, par de vulgaires garages au Bardo, érigés en un rien de temps en petits studios de fortune, tout juste grands pour s'asseoir et ronfler tranquillement à petits frais (de quinze à vingt dinars par nuitée). Ces logis sont chichement meublés par leurs exploitants, par leur trop-plein de meubles et accessoires ménagers vétustes et usés. Au fil du temps, le créneau n'a pas manqué d'appâter et affriander certains grands bonnets de chez nous, qui ont flairé la bonne aubaine. Et vite fait bien fait, ces messieurs se sont mis à injecter, à tour de bras et à grands frais, des appartements et des villas chics, huppés et somptueusement équipés, comblant d'aise les clients haut de gamme et aisés. A commencer par l'élite libyenne (maintenant paumée) élevée dans le giron et les bonnes grâces du défunt guide sacralisé. Ces suites luxueuses sont louées jusqu'à deux cents dinars, la nuitée, brut pour net... Monsieur Fisc étant (hélas ou tant mieux) aux abonnés absents ! Et là, le pétrodollar fait évidemment des siennes. Et... la Dive Bouteille (au ticket noir) aidant, fait et parfait l'extase et l'exaltation des «illustres» présents. Le métier des «sans-métier» Le précieux «cadeau du ciel» est aussi partagé par un monde fou de crève-la-faim, laissés-pour-compte et desœuvrés, qui sillonnent à longueur de journée les rues autour des cliniques privées, cherchant à «happer» les automolistes libyens en quête de meilleure santé. «Tebbi houch ! houch !». Ce sont les appels lancés à gorge déployée par la faune de courtiers, surtout du côté d'El Manar et Cité Ennasser, hélant à longueur de journée, les passagers se trimbalant «avec armes et bagages» et n'ayant encore «atterri» nulle part. Ces increvables crève-la-faim parviennent occasionnellement à saisir dans leurs «becs» leur maigre pain quotidien. Puisque ces chasseurs sont souvent, par mesure préventive, pourchassés par les policiers, déterminés à leur ôter le goût du pain. Etant supposés, parfois à tort, qu'ils sont des mecs à risques, versés forcément dans des manœuvres illicites et bassement sordides (proxénétisme, escroquerie, change de devises, etc.) «Nous ne faisons pas ce sale boulot de gaieté de cœur», nous dit l'un de ces gars, pâle comme la mort et maigrichon, l'air de quelqu'un qui dîne occasionnellement. «Nous avons des ribambelles de bambins qui nous réclament au quotidien le biberon et le pain. Ne vaudrait-il pas mieux pour nous de courir et de nous y investir que de voler et roupiller dans les prisons ? Ceux qui dérapent et font le zigoto doivent seuls subir les revers de leurs méfaits, se faire écarter, pour nous laisser travailler». Ménager la chèvre et le chou Il est, certes, vrai que ce créneau tire de la misère des milliers des nôtres, mal lotis à Gabès, Sfax, Sousse, Tunis, etc. Mais il est non moins vrai aussi que le phénomène pose problème, depuis toujours et surtout, par les temps qui courent, où les deux pays de départ et d'accueil de ces flux vivent mal leur présent, après les avatars de leurs révolutions... Le tout est de savoir ménager la chèvre et le chou : permettre à ces propriétaires d'exploiter leurs biens de la façon qu'ils jugent plus profitable, sans pour autant faillir aux exigences de sécurité. Il s'agit de veiller à l'application de la fameuse loi régissant l'hébergement des étrangers. Celle-ci exige la déclaration du résident auprès du poste de police territorialement compétent, tout en soumettant une copie de la carte d'identité de l'hôte et du passeport du visiteur, dans les quarante-huit heures qui suivent le moment d'arrivée. «Ommi Sissi», comme si tu étais là... Maintenant, un petit historique : les premiers textes réglementaires afférents à ce mode d'hébergement remontent à l'époque de Lamine Pacha Bey. Ils devaient être réaménagés par le décret du mois d'août 2005 qui a cherché à remettre de l'ordre au créneau du désordre. Du coup, l'on a sorti l'idée de l'agrément auquel devait être soumis l'exploitant, louant ses locaux meublés pour une période inférieure à trente jours. Mais ce n'était pas pour arranger la situation. Les conditions à remplir pour rentrer dans la légalité étant rigoureuses et dissuasives. Conditions, nous disent certains exploitants, rappelant drôlement celles du vieux conte d'«Ommi Sissi» : et le loup : faire ceci et cela ... patati... patata!» Du chantage à n'en plus finir. Bref, pour le malheureux postulant, c'est le parcours du combattant. Et il doit remuer ciel et terre... pour espérer déposer un dossier prétendant satisfaire les mille et un caprices réglementaires! Et il y a toujours une fausse bonne raison pour l'administration de dire non... mille fois non au candidat à l'agrément. C'est ainsi que ces textes ont fini par demeurer caducs et obsolètes. Rien que du noir sur blanc, laissant le monde concerné dans le flou... le nez dans le vent! Renflouer le trésor Le tout, parce que nos illuminés législateurs de l'époque révolue ne voyaient la réalité que d'un seul œil et ne l'écoutaient que d'une seule oreille. Puisque ceux pour qui ces textes imparfaits sont faits ne semblent guère avoir été écoutés. Maintenant que, grâce à la révolution, l'on est censé, Dieu merci, avoir deux oreilles pour écouter et deux yeux pour regarder, il serait aisé pour nos autorités législatives d'imaginer et de voter des textes réglementaires mieux adaptés à la réalité et pouvant être appliqués sans difficulté, ni levée de boucliers. Au final, sitôt réglementé d'une manière cohérente, ce créneau pourrait constituer une source fiscale d'appoint, non négligeable pour un trésor public amaigri et rétréci par une disette jamais vue... ni connue.