Militant pour la consécration des droits de l'Homme depuis plus de trente ans, Khemaïes Chammari pense que la loi sur la justice transitionnelle est à amender en vue de corriger les failles qu'elle comporte Vous êtes candidat à la commission Vérité et dignité. Estimez-vous que la période de quatre ans qui lui est impartie est suffisante pour qu'elle puisse régler des dossiers vieux de plus de 60 ans ? La question est pertinente, mais il faut s'efforcer de régler dans les grandes lignes les dossiers auxquels vous vous référez. Du moins, c'est ma conception car je lis, ici et là, des choses assez déroutantes. On voudrait par exemple réduire le mandat de la commission aux seules années de braise 1990-2013. Or, c'est plus ample que cela. Il faudra probablement plus de quatre ans. Mais c'est aussi une question de moyens financiers et humains. Il faut dire que les expériences les plus probantes en la matière, et j'ai eu l'occasion de les connaître directement en Afrique du Sud, en Argentine et surtout au Maroc, ont nécessité beaucoup de temps alors qu'elles disposaient de moyens importants. Beaucoup de juristes reprochent à la loi portant création de la commission le fait d'avoir prévu que les victimes de la répression y soient représentées estimant que l'on ne peut pas être à la fois juge et partie. Qu'en pensez-vous ? C'est une vision strictement juridique. Or, la justice transitionnelle est un processus politico-juridique. Il ne s'agit pas de prendre la place des juges. J'ai souvent eu l'occasion de comparer ce processus à une boisson très populaire le «Canada-Dry» : c'est une boisson qui a l'odeur de l'alcool, la couleur de l'alcool mais ce n'est pas de l'alcool. Le choix des 15 membres de la commission se fera sur la base du consensus. Beaucoup dénoncent déjà la logique des quotas... Il faut être nuancé. Et je ne veux pas en l'état actuel des choses me prononcer publiquement sur cette problématique. Il y a une obligation de réserve éthique qu'il convient de respecter. Certains évoquent l'absence au sein de la loi d'une grille d'évaluation à même de départager les candidats selon des normes reconnues par tout le monde. Quelle solution voyez-vous à ce problème ? Effectivement, cela fait partie des failles de la loi. J'ai cependant décidé de parier sur le cadre législatif proposé. Je n'ai pas manqué de faire part de mes réserves aux personnes concernées. Les composantes de la société civile ont, par contre, plus de marge que moi. La coordination indépendante pour la justice transitionnelle a, de ce fait, pointé du doigt un certain nombre de faiblesses de la loi. C'est normal et elle est dans son rôle. En matière de réparations matérielles qui seront servies aux victimes, la loi ne donne pas à ces dernières le droit de s'opposer aux décisions au cas où elles s'estimeraient lésées ? En fait, il y a deux choses distinctes : d'une part, il y a l'indemnisation financière mais d'autre part, il y a la réparation qui est plus large. Elle englobe l'indemnisation, l'aspect mémoriel, l'enseignement de l'histoire et surtout la réparation des préjudices psychologiques des victimes, notamment de la torture. Les victimes elles-mêmes ou leur ayants-droit peuvent et doivent poser ces problèmes. Nombre d'associations de la société civile spécialisées dans le domaine de la justice transitionnelle ayant participé à l'ébauche de la loi sur la commission Vérité et dignité estiment que leurs recommandations n'ont pas été prises en compte et appellent déjà à son amendement. Pensez-vous que l'ANC puisse répondre à leurs demandes ? Il s'agit plutôt de la loi sur la justice transitionnelle. Les associations sont dans leur rôle. Et elles ont posé des questions pertinentes. J'espère que la loi sera améliorée. Je suis un homme réaliste. Je connais la réalité des rapports de force en présence inchallah ! Partant de votre expérience personnelle en matière de défense des droits de l'Homme, considérez-vous que la loi créant la commission Vérité et dignité soit conforme réellement aux normes internationales? Non, on ne peut pas dire que ce soit conforme aux standards internationaux. Mais il appartient aux femmes et aux hommes de l'intérieur et de l'extérieur de ce processus de tout mettre en œuvre pour infléchir dans le bon sens l'action de la commission. De ce point de vue, le rôle des composantes de la société civile, sans exclusive, est incontestablement décisif. Le mot de la fin ? Il appartient à Feu Emile Habibi, le poète et romancier palestinien décédé hors de sa patrie dont il a été chassé par le gouvernement israélien. Le personnage principal d'un de ses recueils de nouvelles s'appelle «Al Moutachaël» qu'on peut traduire par l'«optissimiste» ou par le «pepessimiste». A vous de choisir.